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Identité et Internet : érosion des frontières
Opinion
Publié dans La Presse de Tunisie le 02 - 09 - 2010

Par Azouz Ben Temessek (Assistant en droit public à la faculté de Droit de Sousse)
Ce qui revêt une importance particulière dans les pratiques nouvelles engendrées par la technologie internet c'est le changement de perception que l'usage de cette technologie entraîne sur le plan identitaire. En effet, une société dans laquelle les individus ont la possibilité d'occuper un espace qui leur garantit une prise de parole, une image d'eux-mêmes et l'exposition de données personnelles et privées est une société qui encourage la perte de l'intime. Même si certains auteurs défendent la démarche créatrice qui les sous-tend, des productions récentes tant en littérature, en télévision ou au cinéma traduisent cette mise à nu de l'intime.
Internet, simulacre ou réalité
Les quelques études entreprises sur la question de la redéfinition des espaces privé et public dans l'espace numérique d'Internet mettent l'accent sur les notions de simulacre, de métaphore, de nouvel habitat ou sur les rapports entre fiction et réalité, entre fond et forme, entre voyeurisme et exhibitionnisme. Les journaux intimes électroniques (diaries), qui font l'objet d'un véritable engouement pour de nombreux internautes, en sont un bon exemple. Ils constituent, sans doute, la forme d'expression la plus paradoxale des pratiques communicationnelles sur Internet. Alliant le caractère privé et intime du contenu à la dimension publique de sa diffusion, le journal intime demeure, avant tout pour de nombreux auteurs, un lieu d'expression pour être lu, «tout mettre à plat», «conserver une trace», «se mettre à nu». Tous les diaristes s'observent, se dissèquent, se mettent à nu. Quel que soit le degré d'exhibition, ce sont d'eux qu'ils parlent. Petits bouts de vie, via le réseau, deviendront, pour des centaines d'internautes, aussi passionnants qu'un feuilleton. Alors, un journal accessible à un si grand nombre de lecteurs est-il toujours intime ? Le paradoxe n'est qu'apparent. D'une part, ce qui est intime n'est pas forcément impudique : on est loin de la webcam postée en permanence dans la chambre à coucher. D'autre part, ces lecteurs, certes bien réels, ont une identité toute virtuelle. La probabilité pour qu'un proche d'un diariste lise son journal et comprenne qui se cache derrière son pseudo est infime.
Aux dires de certains diaristes, beaucoup ont commencé leur journal en ayant comme objectifs initiaux de consigner leurs pensées et leurs impressions et de présenter leur opinion sur des sujets divers à leurs amis. Peu à peu, la forme du journal s'est modifiée pour laisser libre cours à une forme d'expression plus personnelle et quotidienne. La découverte d'un site comme lacev.com, qui répertorie les écrits des auteurs de journaux intimes électroniques, a eu, pour beaucoup, un effet de stimulation et de motivation. Un tel site fait du «diarisme» une véritable manière de vivre. Le site dispose de son propre forum, de ses propres gestionnaires et d'un comité décisionnel composé de différents diaristes. De véritables amitiés peuvent se nouer et des relations privilégiées se créer. Après un certain temps, des internautes arrivent à développer une relation particulière avec tel ou tel diariste un peu comme avec un bon auteur, et ce, à partir des événements racontés considérés comme réels.
Tout en reconnaissant le caractère narcissique, exhibitionniste et voyeuriste de cette forme d'expression, les internautes, auteurs ou lecteurs de ces sites et pratiques, y ajoutent une fonction sociale de communication. En effet, le rapport avec les lecteurs-internautes est perçu et vécu comme une source d'échange, de partage et d'amitié. Les journaux intimes invitent certains lecteurs à se confier à leurs auteurs la possibilité d'être voyeur, de nous nourrir de leurs aventures, de vivre par procuration une vie différente de la nôtre, ressentir, partager leurs émotions, passions, etc., et d'intervenir pour les aider à surmonter une crise. Il y aurait dans cette forme d'échange de l'intime l'idée selon laquelle cette manière de parler de soi est aussi parler de l'autre. Cet aspect est intéressant, puisqu'il traduit à la fois un désir et un manque, une offre et une demande. Le regard posé sur soi et mis en texte devient, lorsqu'il est rendu public, le miroir du regard de l'autre. Avec un tel mode d'expression, l'intime, l'introspection et le privé rendu public deviennent des formes de communication. Certains extraits traduisent des préoccupations aussi variées que la nostalgie de l'enfance, l'inquiétude du monde adulte, les difficultés relationnelles ou l'appel à l'aide.
Internet et voyeurisme
Sur Internet, exhibitionnisme et voyeurisme sont les deux faces d'une même médaille. A la différence de certaines émissions télévisuelles qui procèdent du même phénomène, l'exhibitionniste sur Internet, par le truchement des pages personnelles, des journaux intimes électroniques et plus encore des webcams, échappe davantage au risque de la critique ou de la condamnation du voyeur, ce que, en revanche, le passage en direct ou en différé sur un plateau de télévision n'évite pas. Ainsi, le dispositif technique qui se présente comme une fenêtre est aussi une sorte de filtre de protection, ce qui, là encore, traduit le caractère paradoxal de telles pratiques. A la fois ouverture à l'autre et protection, les pratiques exhibitionnistes d'Internet participent d'une confusion des sphères privée et publique. Oscillant entre la gratification facile et rapide apportée par le fait d'être présent sur la Toile et le désir de protéger sa vie privée, l'internaute cède pourtant à l'attrait du mode de communication numérique, car il considère que la virtualité de sa présence constitue, en quelque sorte, un filtre protecteur de sa véritable identité. C'est en ce sens qu'Internet fait illusion, parce que cette perception traduit une confiance dans un dispositif technique susceptible à la fois de permettre une reconnaissance existentielle et sociale et de préserver l'intime de ceux qui l'utilisent à cette fin. Les nombreux témoignages recueillis auprès des auteurs de pages personnelles ou d'internautes, se livrant à une exposition de pans de leur vie privée par le biais de journaux intimes, traduisent ce paradoxe et véhiculent une certaine adhésion tacite à l'idéologie technique.
L'analyse de certaines pratiques informationnelles et communicationnelles en cours sur Internet, par le truchement des pages personnelles, bavardoirs, forums de discussion et autres, débouche sur un double constat : d'un côté, Internet est un espace de liberté où s'expriment toutes sortes de sensibilités, fantaisies et fantasmes et, d'un autre côté, Internet est un miroir sans tain qui permet de voir sans être vu et d'être vu sans savoir qui nous observe. L'effet attractif, voire hypnotique de l'écran qui montre ce qui relève de l'intime et du privé est à l'œuvre dans les rapports internautes/écran du réseau internet comme il l'est dans les rapports téléspectateurs/écran du téléviseur. Cette interprétation s'appuie sur les dires mêmes des diaristes, par exemple, ou des auteurs de certains sites personnels de type «souvenirs de mes vacances en Tunisie» ou de «vous saurez tout sur moi, mon intérieur, mon extérieur et tout le reste». D'un point de vue plus spéculatif, on peut dire que le dispositif technique et communicationnel de l'internet (écran d'ordinateur, interface clavier-souris-caméra- microphone-télécommunications) instrumentalise non seulement les échanges, mais ce qui est nouveau, les sujets eux-mêmes. L'internaute est sujet instrumenté et instrumentalisé. Il peut à sa guise présenter aux autres et au monde un ou plusieurs «soi» de nature diverse selon l'image de lui-même qu'il aura choisie de créer par le truchement de la convergence technologique. Par ailleurs, l'étude de ces pratiques en cours sur Internet fait apparaître, du côté de l'individu, le désir d'ouvrir un nouvel espace privé (numérique) au plus grand nombre et, du côté de la technique, la nature paradoxale d'Internet qui à la fois dénature, déterritorialise et atomise l'être humain et lui permet aussi de se construire un nouvel habitat (numérique) ouvert aux autres. En outre, l'effacement des frontières entre le privé et le public est favorisé par Internet et ses usages qui opèrent une sorte de «remodelage» de l'imaginaire, de la perception et de la représentation de soi et du monde comme si dans un monde reconstruit numériquement, l'exposition de soi au public était valorisée. Mais, de quelle exposition de soi s'agit-il ? De quelle vie privée est-il question ? La technologie ne joue-t-elle pas le rôle (virtuel) de filtre dans le sens où ce que je donne de moi sur le Net n'est rien d'autre, au fond, qu'un simulacre de ce que je suis vraiment ? Le risque devient moindre et on ne peut plus parler alors de vie privée et encore moins d'atteinte à la vie privée.
Notons, enfin, que le phénomène de «starisation» et de société du spectacle à l'œuvre dans certaines émissions de télévision l'est aussi dans certaines pratiques d'Internet. Ce qu'il convient de relever dans ce phénomène c'est que les émissions de télévision de type «reality show», ainsi que certains sites web à caractère personnel où la personne humaine fait, en quelque sorte, la publicité de sa vie privée dans l'espace public, traduisent une profonde cassure sur le plan axiologique. Il en va encore une fois du pouvoir des médias et des TIC dans la société. Comment définir une société qui, au nom de la liberté d'expression, permet, voire encourage la gloire facile attachée à la célébrité, par exemple ? Nous faisons face au paradoxe des droits de la personne, du respect de ses opinions et de sa vie privée et du paroxysme pervers de l'individualisme qui pousse l'individu à s'exhiber pour exister. Cette cassure axiologique est celle de la fin des valeurs d'absolu et d'autorité au bénéfice du relativisme et du triomphe de l'individu médiatisé. Il s'ensuit un nouveau postulat : exister, c'est non seulement être médiatisé (apparaître dans les médias ou sur Internet), mais c'est aussi livrer sa vie privée au public, c'est se vider de l'intime pour se rendre public. Ce qui est regrettable dans un tel phénomène, c'est le mouvement de dégradation éthique qui à la fois le sous-tend et l'accélère.


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