Pour sa reprise, à l'occasion du mois de Ramadan, le club Mouhaouarat « Débats» de la maison de la culture Ibn-Rachiq a parié sur l'un des noms les plus difficiles à se prêter à une rencontre avec le public. Il s'agit de Olfa Youssef. Enfin dégagée de la cape de Hayratou moslima qui lui a valu, au gré de l'actualité éditoriale, un tollé de la part des publics, mais aussi une critique assez soutenue de la part de l'élite, y compris ses amis et collègues... C'est sans doute ce qui a contribué à cette rencontre. Mais il y a une autre raison : l'auteur vient de boucler son quatrième ouvrage, Désir ou Chaouq. Donc, il y avait là matière à nouvelle discussion, à de nouveaux questionnements, si l'on admet que Olfa youssef se construit, en tant que chercheuse, dans une optique de quête continue, d'incertitude, de ce doute dont seuls sont encore capables les esprits libres, ceux qui n'ont d'autres certitudes que la tolérance, le droit à la contradiction, et surtout, surtout, «la relativité» de tout produit de la pensée. A coup sûr, l'œuvre de Olfa Youssef ne peut être abordée à la légère. En dépit de l'interminable cabale qui a marqué, en particulier, Hayratou moslima, son avant-dernier ouvrage, nombre de confusions règnent encore quant à la substance de cette œuvre. A ce propos, Olfa Youssef se démarque vivement de toute lecture analytique du texte religieux fermée et «définitive». D'ailleurs, parmi les principes fondamentaux qui gèrent cette œuvre, est développée l'idée d'une interprétation non seulement ouverte, mais également suggestive d'autres approches aussi différentes les unes que les autres et, par conséquent, aussi enrichissantes. C'est une attitude, un état d'esprit extraordinaire que celui de cette jeune doctoresse, pétrie de l'humilité de la croyante qui se refuse à l'exhibitionnisme et à toute forme d'ostentation. Immunisée par la quête incessante d'un savoir dont elle tente d'atteindre les abysses, elle se montre sereine face à toutes les attaques, celles qui guettent les idées préconisant l'indépendance de la pensée contre la rigidité de la pratique religieuse. Celle-ci n'est-elle pas, au bout du compte, l'aboutissement d'une interprétation relative ? Et, par conséquent, l'imposer n'équivaudrait-il pas à une sorte d'abus qui empiéterait sur le droit de tout un chacun de se représenter sa propre pratique, sa propre relation à la religion ? Se pose alors le problème de la légitimité de l'interprétation du texte religieux. Là encore, Olfa Youssef, sceptique face à la spéculation des «recettes» déballées à longueur de journée sur les chaînes satellitaires, met en garde contre la récupération de la religion par le simulacre du pouvoir. Elle propose comme alternative à la morale, dans son sens prohibitif, le respect de la loi, l'état d'esprit civique, une éthique dont les défaillances ne sauraient en aucun cas être compensées par le formalisme de la pratique religieuse (prière, jeûne, etc.), ceux-ci demeurant l'affaire du rapport strictement intime avec le Créateur. Si dans ses trois premiers livres elle aborde le texte religieux sous le prisme essentiellement de la linguistique, «la pluralité des sens dans le Coran», et de la psychanalyse «le Coran au risque de la psychanalyse», son prochain livre qui paraîtra incessamment, sous le titre Chawq ou Désir, aborde la question de la foi. Il s'agit, pour l'auteur, de démontrer que la foi n'est aucunement une affaire de rationalité mais, bien plus, une affaire de quête interminable, infatigable de la rencontre ultime, du désir de retrouvailles avec l'Autre, l'Absolu… Demeure la réflexion sur des questions telles que la mort, le véritable sens du texte sacré, l'origine de l'homme, son cheminement, l'au-delà… Autant de questions pendantes qu'il s'agit, selon Olfa Youssef, pour chaque individu de tenter de résoudre avec ses propres moyens, en fonction de ses convictions intimes, car il n'y aurait pas de place, dans sa démarche, pour les recettes. Tout au plus, elle réfléchit, étudie, se ressource auprès d'un patrimoine dont elle suit les bonnes pistes, comme celle d'Ibn Arabi. Sa motivation ? La recherche d'une optique d'ouverture qui libère le sens du texte religieux de tout cloisonnement et restitue à la religiosité sa dimension individuelle, profonde et respectueuse de l'altérité.