« L'administrite » tue les initiatives et, surtout, décourage les hommes de bonne volonté. Le « Mois de l'école », avouons-le, est une trouvaille géniale. Il faudrait le reconnaître, car face aux moyens insuffisants dont dispose la tutelle, il fallait trouver une alternative citoyenne mobilisatrice. Ce retour aux sources est une excellente occasion de renouer avec ce qui demeure en fait enfoui en nous, sans que nous sentions le besoin d'éveiller cet attachement que nous éprouvons tous plus ou moins pour nos premiers établissements scolaires. Cette excellente initiative ne serait donc jamais revenue à la surface sans cet élan qui nous relance dans une enfance lointaine et si pleine de souvenirs. Mais si ce que nous découvrons à la faveur des images, bien choisies, dont le ministre de l'Education nationale est le principal animateur et promoteur, des passages émouvants et un élan de solidarité qui donnent l'impression d'être pleins de spontanéité, il y a des agissements qu'il faudrait sans doute dénoncer, pour déblayer le terrain de cette acquisition citoyenne pour laquelle nous devrions tous œuvrer, à l'effet de la préserver. Un donateur plein de bonne volonté voulant aider à l‘entretien d'une école vient récemment de vivre une mésaventure fâcheuse - «Figurez-vous que l'on m'a demandé la signature d'un «engagement» pour me permettre de faire don de la somme nécessaire à la construction d'une classe supplémentaire dans une école ! » s'offusque l'homme en colère. Une fois mis en confiance et détendu, nous avons pu en savoir plus long sur cette affaire. Elle tient de l'anecdote certes, mais... cela reflète, en fin de compte, les méfaits de « l'administrite », cette maladie incurable qui tue notre administration. Elle tue les initiatives et, surtout, décourage les hommes de bonne volonté qui voudraient agir, mais chez qui on ôte toute fibre bienfaitrice en posant à chaque pas, derrière toute manifestation d'enthousiasme, des embûches qui la font fléchir et finissent par couper les ponts entre deux parties qui ont pourtant besoin l'une de l'autre. «Cela se passe à l'Ecole Ksibi du Mornag. J'ai voulu aider cet établissement et je m'y étais rendu pour m'enquérir de ce dont ils avaient besoin. Après discussion avec le directeur, il est apparu qu'entre l'aménagement d'un terrain de sport et la construction d'une nouvelle salle de classe, il serait plus opportun d'opter pour la seconde alternative. En effet, un terrain même nu, peut servir de plateau provisoire pour l'éducation physique. Cela pourrait donc attendre pour cette réalisation dont personne n'ignore l'importance pour la formation de nos enfants. Mais la construction d'une salle de classe supplémentaire permettrait un meilleur encadrement pédagogique. Après avoir pris congé et fait part de mon accord de principe au chef d'établissement, j'ai effectué mes contacts pour établir un devis des besoins. Je suis retourné à l'école pour faire part de ma ferme décision au directeur», a expliqué le généreux donateur. Signer un engagement Notre interlocuteur continue : «Le chef d'établissement devait se référer au directeur régional pour lui expliquer qu'un citoyen était prêt à s'engager formellement pour ce don qui sera d'un apport certain pour l'école. Pour faire court, on m'a appelé pour me dire qu'il fallait avant toute action «signer un engagement». De quel « engagement » veulent-ils parler ? Je suis volontaire. Je suis connu dans la région, et j'ai l'air de tout sauf d'un rigolo qui viendrait s'amuser avec des choses aussi importantes. De toutes les manières, et supposons que je ne puisse pas tenir toute ma promesse où est le mal ? Quel que soit l'avancement des travaux réalisés, cela ne peut qu'être un apport pour cet établissement. Même pour s'entourer de certaines précautions, il faudrait agir autrement et éviter de choquer par des attitudes très peu pédagogiques dans un milieu qui ne devrait pas en manquer. On aurait pu par exemple, demander avant l'engagement des travaux, une copie de l'accord final signé avec l'entreprise appelée à réaliser l'objet de l'accord, avec détails des étapes et des dates de finition et de réception définitives. Cela aurait été plus adéquat que la signature d'un engagement qui ne veut en fin de compte rien dire. Cela suppose quoi ? Un procès, une peine de prison ou quoi d'autre pour sanctionner une bonne volonté qui cherche à se rendre utile ? En fin de compte, j'ai pris mes cliques et mes claques, et j'ai décidé de faire don de cet argent à une organisation de bienfaisance. Tant pis pour la classe. L'organisation de bienfaisance ne demande aucune garantie ni engagement». Notre vis-à-vis qui demeure prêt pour une confrontation me tend un document officiel provenant de la délégation de Jebel Jeloud. On y explique les besoins de quelques établissements scolaires de la zone. Elle a été adressée aux différents opérateurs économiques qui souhaiteraient s'investir dans le cadre du « Mois de l'école ». Le tableau, dès le premier coup d'œil est tout simplement rebutant. On y mentionne certes les priorités, mais on ne donne que le coût global de l'opération. Les dizaines de millions, qui apparaissent, bloquent la route à toute bonne volonté. Des enveloppes de quarante à cent mille dinars par les temps qui courent, ce n'est pas donné à tout le monde de les consentir. Un découpage des besoins par lots estimés, du moins au plus urgent serait mieux passé et aurait encouragé ces partenaires économiques à se lancer sans trop calculer. Les germes de la destruction Voila comment, sans s'en rendre compte, consciemment ou inconsciemment, on s'évertue à saper les fondements et à détruire une bonne idée qui a déjà fait ses preuves. Les dispositions de ceux qui ont négocié, avec ceux qui étaient passés à l'acte pour servir de sujet bon pour la télévision, et ceux qui ont été chargés de coordonner d'autres opérations, ne sont assurément pas les mêmes. Par les temps qui courent, dans cette ambiance qui devient de plus en plus propice à la manipulation, où presque tout risque d'être politisé et objet de convoitise pour se mettre en évidence ou pour tacler sans vergogne celui d'en face, le danger de voir cette remarquable initiative disparaître un jour, sous la poussée de ceux qui s'y consacrent pour obéir simplement à une circulaire administrative, sans conviction ni élan porteur de sentiments humanistes et contagieux est trop grand. Nous avons beaucoup à y perdre alors que l'avenir est dans cette incontournable solidarité. Il y a une grande part de responsabilité de ceux qui instruisent la communication et assurent le suivi de cette gigantesque mais si exaltante entreprise, pour laquelle nous devrions tous apporter notre soutien désintéressé et généreux.