Le chef du gouvernement désigné, M. Youssef Chahed, a prétendu initialement réduire la représentation des partis politiques au sein du cabinet. Sous la pression, il a dû ratisser large. De sorte qu'on se retrouve aujourd'hui avec un gouvernement où siègent l'extrême droite d'Ennahdha, la droite de Nida Tounès, des nationalistes arabes, quelques représentants de partis de gauche, le patronat et les syndicalistes Il est quand même étonnant que nous ayons une vie politique si atypique. Depuis les élections de 2014, ceux qui l'ont emporté — Nida Tounes en particulier — éprouvent une certaine gêne à gouverner. La majorité rechigne à exercer le pouvoir et l'on préfère régner sans gouverner. Le gouvernement Habib Essid, qui aura duré dix-huit mois, en a été une affligeante illustration. Proposé par Nida Tounès, M. Habib Essid a eu, dans un premier temps, les faveurs du président de la République, M. Béji Caïd Essebsi. Ce dernier avait dit aux dirigeants venus lui proposer le nom de M. Habib Essid en tant que chef de gouvernement : «Vous n'auriez pas trouvé mieux». Mais, bien qu'étant du sérail, Habib Essid n'est pas de Nida. Son gouvernement a reposé sur une alliance quadripartite, Nida en prime. Toutefois, dès que les premiers problèmes ont surgi, un clan de Nida — celui de Mohsen Marzouk — s'en est publiquement désolidarisé, tandis qu'un autre a pris fait et cause pour lui. Et Habib Essid lui a renvoyé l'ascenseur. Ce faisant, M. Habib Essid péchait par un excès de confiance. Il bénéficiait alors du soutien d'un clan fort de Nida, de la présidence de la République et du groupe parlementaire de Nida à l'Assemblée. Cependant, il avait sous-estimé la scission inévitable de Nida. Parce que ça lui en a coûté. Nida a fini par se diviser en deux partis distincts, le groupe parlementaire a changé de loyauté et la présidence de la République s'est retournée contre le chef du gouvernement. Ayant eu l'aval de 167 parlementaires lors du vote d'investiture de son gouvernement, en février 2015, Habib Essid n'a recueilli que trois voix pour le renouvellement de confiance en juillet 2016. Et il a dû rendre le tablier. Aujourd'hui, un nouveau gouvernement sera mis en place. Le chef du gouvernement désigné, M. Youssef Chahed, a prétendu initialement réduire la représentation des partis politiques au sein du cabinet. Sous la pression, il a dû ratisser large. De sorte qu'on se retrouve aujourd'hui avec un gouvernement où siègent l'extrême droite d'Ennahdha, la droite de Nida Tounes, des nationalistes arabes, quelques représentants de partis de gauche, le patronat et les syndicalistes. Un véritable casse-tête pour certains observateurs méticuleux. Est-ce bien un gouvernement de droite, de gauche ou d'opportunistes ? Opportunistes doit être saisi ici dans un sens pragmatique, pas moral. D'ailleurs, on ne le sait que trop depuis Machiavel, la morale et la politique obéissent à des cheminements différents, le plus souvent antagoniques. Au-delà du souci de distinguo, il y a lieu de se demander quelle sera l'attitude des ministres hauts dirigeants de la centrale syndicale, l'Ugtt, face aux exigences de l'austérité, du FMI et de la Banque mondiale. Ceux-ci exigent, en effet, la réduction des effectifs de l'administration, la levée de certaines subventions de produits de base et la privatisation de secteurs-clés tels l'eau ou l'électricité. Idem de personnalités de gauche tel M. Samir Taïeb, dirigeant d'Al-Massar. Il siège au gouvernement au même titre que six ministres et secrétaires d'Etat d'Ennahdha, hier encore fustigé à tout bout de champ par Samir Taïeb. La realpolitik aura-t-elle raison des contradictions antagoniques et assumées comme telles jusqu'à aujourd'hui ? Paradoxalement, la pression pèse davantage sur les épaules des représentants de partis et organisations de gauche qui ont rejoint le gouvernement Youssef Chahed. Les autres sont dans leur rôle. Mais ceux-ci peuvent s'avérer d'honnêtes gérants du capitalisme à dents de loup prôné par l'écrasante majorité de l'alliance de fait Nida-Ennahdha. Tout se saura à l'heure des choix. Pour l'instant, l'arbre de la politique politicienne cache la forêt. Mais, à l'épreuve des faits, les vraies dimensions des uns et des autres ressortiront au grand jour. Et l'histoire est à l'affût, avec ses grimaces.