Finalement, au bout de trois semaines d'intenses conciliabules, Youssef Chahed a annoncé avant-hier soir la composition de son nouveau gouvernement. Et tout porte à croire qu'il obtiendra facilement le vote de confiance d'investiture du Parlement Seulement, ce gouvernement semble de prime abord en deçà des attentes. Et pour cause. D'abord, il est particulièrement nombreux, totalisant, en plus du chef du gouvernement, quarante ministères et secrétariats d'Etat (26 ministres, 14 secrétaires d'Etat). Or, M. Youssef Chahed avait réitéré sa volonté de nommer un gouvernement comportant pas plus de dix-huit portefeuilles ministériels dont seulement la moitié porteraient des casquettes partisanes. Il a visiblement cédé aux pressions concentriques des partis qui ont livré, trois semaines durant, une véritable lutte au couteau en vue d'accaparer le maximum de ministères. A l'heure où l'on réclame des Tunisiens qu'ils serrent la ceinture et se mettent au régime de l'austérité, à l'heure des pénuries et des coupures fréquentes de l'eau et de l'électricité, aligner un gouvernement de quarante et un membres est pour le moins étonnant. Et cela pourrait s'avérer contre-productif et à effets pervers à terme. En même temps, dix ministres de l'ancien gouvernement ont été reconduits. Là aussi, le chantage des partis s'est avéré payant. Et ce n'est guère le critère de la compétence qui a présidé à ces maintiens. Certains départements, tels les Affaires étrangères, n'ont guère brillé par leurs hautes performances dans le gouvernement Habib Essid. Le cas de M. Zied Laâdhari, ancien ministre de la Formation professionnelle et de l'Emploi, et secrétaire général d'Ennahdha, est typique, lui aussi. Bien qu'il ait failli, on l'a reconduit à la tête à la tête d'un nouveau super-ministère englobant l'Industrie et le Commerce ! Et puis, contrairement aux promesses, il n'y a que huit femmes au nouveau gouvernement et seulement cinq ministres jeunes, âgés de moins de 35 ans. Quand on sait la volonté affichée initialement par M. Youssef Chahed d'allouer la moitié des portefeuilles ministériels aux jeunes et aux femmes, on ne peut qu'être déçu. Certes, le nouveau gouvernement aligne cinq grosses pointures indépendantes à des postes-clés tels la Justice, les Finances, la coopération internationale, l'Energie, l'Enseignement supérieur. Mais, au bout du compte, sept partis politiques de la place et deux organisations nationales figurent dans le nouveau gouvernement. Là aussi, les segmentations tribales partisanes l'ont emporté, haut la main. Grands gagnants, Nida Tounes, Ennahdha et l'Ugtt. Nida Tounes aligne la présidence du gouvernement, quatre ministères, dont un de souveraineté, et quatre secrétariats d'Etat. Ennahdha s'arroge trois ministères, dont un super-ministère englobant deux portefeuilles ministériels et trois secrétariats d'Etat. Quant à Afek Tounes, il totalise deux ministères dont un super-ministère englobant l'Environnement et les Affaires locales. Ajoutons-y les portefeuilles délégués à Al Massar, au parti Joumhouri et d'autres petites formations. Et la boucle des segmentations partisanes est bouclée. Contrairement à la volonté réitérée de M. Youssef Chahed de ne pas nommer un gouvernement de répartition partisane. La centrale syndicale, l'Ugtt, ainsi que la centrale paysanne, l'Utap, sont représentées. L'Ugtt occupe deux ministères, les Affaires sociales, la Fonction publique et la Lutte contre la corruption. Une première, depuis le début des années soixante du XXe siècle. Mais aussi une arme à double tranchant. A terme, le nouveau gouvernement devra s'atteler aux épineuses questions du nouveau régime des retraites et de l'assainissement de la fonction publique. Des mesures et décisions pas forcément populaires seraient prises. Certaines obéissent même au diktat des bailleurs de fonds internationaux. Or, l'Ugtt recrute l'écrasante majorité de ses quelque huit-cent mille adhérents précisément dans la fonction publique. Les ministres de l'Ugtt marcheraient dès lors sur le fil du rasoir. Idem pour la gauche. La participation au gouvernement de Abid Briki (Ugtt et proche du Front populaire) et de Samir Taïeb (dirigeant d'Al Massar) à un gouvernement où siègent six ministres et secrétaires d'Etat nahdhaouis en déroute plus d'un. Et autorise de sérieuses questions sur la consistance de la gauche tunisienne, hormis le Front populaire qui s'est toujours érigé en force de contestation tous azimuts. Finalement, encore une fois, le duo Béji Caïd Eseebsi-Rached Ghannouchi a le dernier mot. Le gouvernement Habib Essid a été démis pour être remplacé par un gouvernement où Nida et Ennahdha disposent de quinze portefeuilles ministériels, alors qu'ils n'avaient que huit dans le gouvernement Essid. Et puis, certains «braconniers», voués hier encore aux gémonies, sont transformés en «gardes champêtres». Au bout du compte, un gouvernement mi-figue mi-raisin. Visiblement, à force de le côtoyer, Rached Ghannouchi a appris de Béji Caïd Essebsi comment attraper les marrons chauds par l'entremise des pattes du chat.