Par Soufiane Ben Farhat Du danger de souscrire de prime abord aux «conclusions» pré-indiquées aux Proche et Moyen-Orient. La dialectique de l'être et du paraître politique y est biaisée. Les évidences apparentes n'y sont pas forcément vraies. Et les vérités ne s'y déclinent pas toujours sous des formes évidentes. Pas plus tard qu'hier, le Premier ministre libanais, Saâd Hariri, a défrayé la chronique. Il a reconnu —publiquement dans une interview— avoir eu tort d'accuser la Syrie d'avoir trempé dans l'assassinat de son père, l'ancien chef de gouvernement tué dans un attentat le 14 février 2005. Ses propos ne souffrent guère l'équivoque : «Nous avons évalué les erreurs que nous avons commises envers la Syrie, qui ont porté atteinte au peuple syrien et aux relations bilatérales…A un certain point, nous avons commis des erreurs et accusé la Syrie d'avoir assassiné le Premier ministre martyr. Il s'agissait d'une accusation politique, et c'en est fini de cette accusation à caractère politique». Il a même désigné les «faux témoins» qui ont «détruit les relations entre la Syrie et le Liban et politisé l'assassinat». Lorsqu'on connaît les méandres politico-militaires du Liban depuis quelques années, on mesure la portée de tels propos. Ils ont l'effet d'une bombe politique, à n'en pas douter. Assurément. En politique comme en droit civil, l'aveu est la reine des preuves. Et l'aveu de Saâd Hariri a des significations particulièrement pertinentes pour le vécu et le devenir de la région. Il ne faut en effet guère être devin pour y souscrire: le fait politique libanais est pris dans les entrelacs tumultueux des conflits du Proche et du Moyen-Orient plus éclatés et antagoniques que jamais. Et ici comme ailleurs dans tout processus politique, il y a un gagnant et un perdant. Forcément. Le grand gagnant, c'est la Syrie (et ses alliés libanais et régionaux). Damas a toujours en effet catégoriquement démenti tout lien avec le lâche attentat dans lequel Rafic Hariri et vingt-deux autres personnes périrent. Le grand perdant, c'est Israël (et ses alliés libanais et internationaux). Ils n'ont eu de cesse de pointer un doigt accusateur à l'endroit de la Syrie qui serait, à les en croire, le commanditaire de l'assassinat de Rafic Hariri. Beaucoup de forces et d'intervenants régionaux et internationaux se sont avisés d'instrumentaliser l'assassinat de Hariri comme tremplin pour de sombres desseins. Parmi eux, il y avait bien évidemment Israël. Lequel, selon certains analystes on ne peut plus sérieux, ne serait guère exempt de responsabilité dans l'assassinat de Rafic Hariri. Il y avait également les néoconservateurs américains qui avaient pignon sur rue à Washington du temps du président George W. Bush. Obsédés par leur délire de prétendu Grand Moyen-Orient, ils voulaient investir Damas par les troupes US comme ils l'ont fait à Bagdad en Irak. Mais les voies de la providence ont visiblement emprunté d'autres horizons sous les cieux assombris d'Asie arabe. Depuis quelque temps, le changement de cap de la donne libanaise était dans l'air. Le chef du gouvernement Saâd Hariri s'était réconcilié avec la Syrie depuis une année environ. Il a même rendu plusieurs fois visite au Président syrien Bachar El Assad. Par ricochet, il est légitime de s'interroger sur au moins deux faits capitaux. En premier lieu, quid de l'enquête du Tribunal spécial pour le Liban chargé de poursuivre les personnes responsables de l'attentat du 14 février 2005 qui a entraîné la mort de Rafic Hariri? Initialement, l'enquête menée par les Nations unies a nommément désigné la Syrie, avant de s'en détourner. Selon des sources dignes de foi, le nouveau procureur chargé de l'enquête internationale, Daniel Bellemare, pourrait prochainement inculper d'autres parties. Il a même demandé au gouvernement libanais de lui fournir les documents présentés récemment par le chef du Hezbollah Seyyed Hassan Nasrallah. Ces documents démontrent, images à l'appui, l'implication des drones et des avions espions israéliens dans le pistage minutieux des parcours des convois de Rafic Hariri. Par ailleurs, quid des responsabilités dans la série d'attentats meurtriers qui ont ciblé des personnalités libanaises et ensanglanté le pays du cèdre depuis l'assassinat de Rafic Hariri? Des questions, entre autres, qui requièrent des réponses précises. En tout état de cause, pour l'instant, les médias occidentaux semblent préférer le silence embarrassé à la vérité reconnue. Ils ne mettent pas le même empressement à rapporter les propos de Saâd Hariri disculpant la Syrie de la mort de son père que celui qu'ils ont mis à amplifier ses anciennes affirmations incriminant Damas du même assassinat. Mystère et boule de gomme.