Permettre à l'administration fiscale d'accomplir l'une de ses principales missions, à savoir la lutte contre la fraude fiscale, dans le but de consacrer l'équité fiscale Lors d'un point de presse tenu hier au siège du Syndicat des journalistes tunisiens, M. Lassâad Dhaouadi, président de l'Institut du Conseil national de la fiscalité, de l'Association fiscale internationale et de l'Institut des avocats conseils fiscaux en France, a formulé plusieurs propositions en vue d'assurer l'équité fiscale et d'améliorer les recettes de l'Etat. Selon l'orateur, il s'agit d'instaurer un registre national des fraudeurs à l'instar de ce qui a été fait aux USA, au Royaume-Uni, au Canada, en Afrique du Sud et en Algérie, dans le cadre de la loi de finances complémentaire pour la gestion de 2009. Une autre proposition importante formulée consiste en la mise en place d'un pacte fiscal qui doit consacrer plusieurs principes, à savoir l'équité, l'égalité, la redevabilité, la lutte contre la fraude fiscale et la bonne gouvernance. Ce pacte doit être respecté par tous les acteurs et notamment l'administration. M. Dhaouadi recommande, en outre, d'assurer la classification des contribuables en trois catégories, en l'occurrence les contribuables disciplinés, les contribuables disciplinés passant par des difficultés et les fraudeurs. Rappeler à l'ordre les fraudeurs Par ailleurs, il faut permettre au procureur de la République, selon cet expert, de mettre en mouvement l'action publique du fait que ceci n'est permis, aujourd'hui, qu'au ministre des Finances. En outre, l'administration doit rejeter les factures et les notes d'honoraires émanant des personnes exerçant des activités économiques et professionnelles en violation des textes les régissant, et ce, afin de lutter contre le marché parallèle, à l'instar de ce qui a été fait au Cameroun dans le cadre de la loi de finances pour la gestion 2012. Il est nécessaire également de rejeter les factures provenant des paradis fiscaux, des zones franches ainsi que les factures provenant des personnes non résidentes soumises à un taux préférentiel d'imposition en suivant l'exemple du Cameroun. M. Dhaouadi a proposé aussi la modification des articles 39, 42, 60 et 130 du code des droits et procédures fiscaux qui permettent aux escrocs et intermédiaires corrompus d'intervenir dans les affaires fiscales, et ce, en violation de la loi régissant la profession de conseil fiscal et la loi régissant la profession d'avocat. Dans le cadre de la réforme, il serait judicieux de créer une direction qui sera chargée de la lutte contre la fraude fiscale à l'instar de ce qui a été accompli dans les pays développés, notamment les pays membres de l'Ocde. A ce titre, ladite direction a été rattachée au ministère de l'Intérieur en Italie et en Hongrie. Le membre du Conseil national de la fiscalité a proposé la suppression des dispositions fiscales discriminatoires et inconstitutionnelles qui ont été adoptées dans des conditions douteuses dans le but de piller une catégorie d'entreprises comme c'est le cas pour les dispositions qui subordonnent la jouissance d'un droit à la certification des états financiers de l'entreprise par un commissaire aux comptes. Sachant que ces dispositions n'ont pas de similaires dans les pays développés. Récompenser les dénonciateurs Sur un autre plan, l'orateur suggère de récompenser les dénonciateurs des fraudeurs fiscaux et d'interrompre les délais de prescription lorsqu'il s'agit de pratiques de fraude fiscale. Dans ce même ordre d'idées, il est nécessaire d'augmenter substantiellement le tarif des impôts payés par les commerçants forfaitaires. M. Dhaouadi propose de considérer les biens situés à l'étranger revenant à des Tunisiens résidents non déclarés en Tunisie comme étant des revenus non déclarés, comme c'est le cas dans la législation française. La révision vers la baisse du barème d'imposition des personnes physiques d'au moins 5% est une bonne chose, propose l'expert. D'autant plus que le taux d'imposition des sociétés de capitaux a été réduit de 35% à 25% sans tenir compte des exonérations dans le cadre des avantages fiscaux. Le but étant de consacrer le principe de neutralité de l'impôt. M. Dhaouadi considère le relèvement du taux d'imposition pour les personnes physiques comme étant une forme de « terrorisme » fiscal, de spoliation et de confiscation. En outre, l'expert est pour la suppression du secret professionnel afin de permettre à l'administration fiscale d'accomplir l'une de ses principales missions, à savoir la lutte contre la fraude fiscale, dans le but de consacrer l'équité fiscale prévue théoriquement dans le cadre des articles 10 et 21 de la Constitution. Il serait judicieux de permettre à l'administration fiscale de procéder de nouveau à la vérification fiscale en cas de soupçon de corruption. De même, il faut permettre aux organes publics de contrôler les entreprises vérifiées fiscalement en cas de soupçon de corruption. Non au pillage des ressources L'expert fiscal suggère, par ailleurs, la privation des entreprises de la déduction des charges matérialisées par des factures relatives à la location de la main-d'œuvre étrangère afin de lutter contre la fraude fiscale et le pillage de nos ressources, notamment pétrolières, par le biais des factures fictives ou gonflées provenant généralement des sociétés « coquilles » établies dans des paradis fiscaux. La suppression de l'article 30 de la loi de finances pour la gestion 2011 a créé une justice fiscale parallèle matérialisée par la commission de révision des arrêtés de taxation d'office, et ce, en violation du principe d'indépendance de la justice et du principe d'unicité des procédures fiscales. Le même article a créé un médiateur sous l'autorité du ministre des Finances, et ce, en violation de la loi régissant le médiateur administratif. Dans le but de renflouer les caisses de l'Etat, l'expert estime qu'il faut prévoir une loi exceptionnelle obligeant les fraudeurs à payer une contribution de 10% de la valeur de leurs biens dont l'origine n'est pas justifiée par des revenus déclarés, une donation ou un héritage. A défaut, ils paieront un impôt sur le revenu qui peut être inférieur à 35% de la valeur des biens. Ainsi, le Trésor public peut ramasser quelques dizaines de milliards de dinars au lieu de recourir à des pratiques de « terrorisme » fiscal qui consistent à pénaliser les bons contribuables et immuniser les fraudeurs fiscaux. L'orateur propose dans le même cadre une refonte de l'article 101 du code des droits et procédures fiscaux, qui a énuméré d'une manière très restrictive les pratiques de fraude fiscale. Cet article a omis d'une façon délibérée d'énumérer plus largement ces pratiques comme c'est le cas actuellement pour le détournement des avantages fiscaux, financiers et sociaux. Il faut subordonner l'octroi des avantages fiscaux, financiers et sociaux à la création d'un nombre bien déterminé d'emplois décents et du transfert de technologie comme c'est le cas en Inde et dans les pays d'Amérique latine. Le pôle judiciaire financier concerné Une autre proposition importante formulée, à savoir l'adoption de la loi qui va régir le pôle judiciaire financier qui doit être compétent dans l'examen des crimes financiers, fiscaux, économiques et de corruption. Une loi relative à l'enrichissement illicite doit être adoptée afin de lutter efficacement contre la corruption dans le domaine fiscal qui cause au Trésor public une perte annuelle qui s'élève à plusieurs milliards de dinars. A ce titre, on peut citer les créances publiques prescrites d'une manière délibérée et dans des conditions suspectes. Il est nécessaire de dénoncer les intermédiaires et les fonctionnaires corrompus dans des dossiers fiscaux en violation des lois professionnelles relatives aux personnes habilitées à assister et à défendre les intérêts des contribuables, et ce, en application de l'article 29 du code de procédure pénale et de l'article 9 de la loi régissant la profession de conseil fiscal agréé. Le président de l'Institut tunisien des conseils fiscaux a demandé, d'ailleurs, au ministre des Finances d'émettre une circulaire destinée aux agents de l'administration fiscale sur les modalités d'application de l'article 9 régissant la profession de conseil fiscal afin de lutter contre la corruption fiscale qui coûte annuellement au Trésor public plusieurs milliards de dinars. Enfin, il ne faut pas permettre aux fraudeurs fiscaux, de l'avis de M. Dhaouadi, de présenter leur candidature aux fonctions publiques et prévoir leur privation des droits civils et politiques dans le cadre du code des droits et procédures fiscaux comme cela a été fait par le législateur français. Cette proposition a été bloquée par la Troïka et la majorité de membres de l'Assemblée nationale constituante et notamment le président de la commission des finances.