Par Mohamed Ridha BOUGUERRA Nous avons eu droit, ces dernières années, entre autres aberrations surréalistes, à la construction d'un muret sur la voie ferrée afin d'empêcher le transport du phosphate du Bassin minier. Nous avons également suivi, de janvier à septembre 2016, le triste feuilleton de l'affaire de la société mixte tuniso-britannique Petrofac, à Kerkennah, avec l'intrusion d'un groupe de demandeurs d'emploi sur le site sensible de l'extraction du gaz et du pétrole, d'où l'arrêt total de toute activité pétrolière durant plusieurs mois. Cerise sur le gâteau, si l'on peut dire, des agitateurs décidés ont chassé les forces de l'ordre des îles Kerkennah. Et, chaque fois que les autorités, par trop de tergiversations, ont tardé à réagir afin de rétablir le prestige de l'Etat et afin que force reste à la loi, tout un chacun a pu constater la faiblesse patente de l'Etat et l'on s'est dit, décidément, le roi est nu mais tout le monde fait semblant de ne s'en être pas encore aperçu ! Dimanche 9 octobre 2016, un nouveau palier dans l'absurde a été atteint dans la mesure où un ancien ministre, des dirigeants et responsables de partis politiques, des membres de l'Assemblée des représentants du peuple et même une avocate et, par ailleurs, députée, sont venus donner leur bénédiction en quelque sorte à une vente aux enchères d'un bien public, en l'occurrence la récolte de dattes d'une palmeraie de plusieurs hectares, à Jemna, propriété de l'Etat et donc de la communauté nationale. Et cela malgré l'opposition de l'exécutif à une pareille transaction au mois de septembre déjà et malgré aussi un jugement plus récent interdisant les enchères programmées. Car, cette scène surréaliste à laquelle, médusés, nous avons assisté, ne nous a pas seulement révélé, une énième fois, la faiblesse de l'Etat, elle nous a, surtout, convaincu de la débilité profonde de certains parmi notre personnel politique ! Comment interpréter, en effet, la présence de certains hommes et femmes politiques à cette vente aux enchères et qui, en outre, n'ont pas hésité à apposer leur paraphe au bas du document qui a la prétention d'officialiser ces enchères, oui, comment interpréter cela autrement que comme complicité dans le vol manifeste d'un bien public ? Quel sens donner à la caution apportée à cet acte interdit par la justice autrement que comme la participation à une nouvelle et grave flétrissure portée à l'image de l'Etat par ceux-là mêmes que le peuple, pour certains d'entre les présents, a chargé de défendre ses intérêts ? N'ont-ils pas, ces derniers, solennellement juré de respecter la Constitution et les lois du pays ? Ne sont-ils pas censés préserver les intérêts supérieurs de la nation et les mettre au-dessus de tout ? Les responsables politiques de tous bords qui ont applaudi à cette entorse à la loi et à la justice, responsables appartenant aussi bien à Ennahdha qu'au Front populaire ou au CPR, n'ont-ils pas fait ici montre d'une démagogie et d'un populisme de mauvais aloi et, qui plus est, aux dépens de l'Etat de droit ? Pour récolter quelques poignées de voix de plus aux prochaines échéances électorales, ces hommes et femmes de partis n'ont-ils pas sacrifié et le droit et la justice et l'image de l'Etat ? Qui oserait après cela accorder confiance aux futurs candidats de ces partis à la loyauté douteuse et qui se sont révélés si légers quand il a été question des intérêts de la communauté nationale et de la pérennité de l'Etat ? Car c'est bien de la pérennité de l'Etat qu'il s'agit, d'abord, dans cette affaire ! Que restera-t-il, finalement, d'un Etat que l'on souhaiterait fort et pérenne si chacun, pour un oui ou pour un non, écorne à sa guise son image et ses symboles en ne se soumettant pas aux arrêts de ses tribunaux ? N'est-ce pas Madame la présidente de l'Instance vérité et dignité qui refusez depuis des mois d'accepter les avis du tribunal administratif préconisant la réintégration d'un membre de l'Instance à son poste? N'est-ce pas Madame l'honorable députée Samia Abou présente à Jemna dimanche dernier et qui ne craignez pas de défendre, sur les ondes d'une station de radio, des citoyens contrevenant à la loi et refusant l'application d'un jugement prononcé par un tribunal de notre pays ? N'est-ce pas camarades du Front populaire qui vous croyez encore en 1917, un siècle déjà !, c'est-à-dire du temps où les moujiks étaient taillables et corvéables à merci par les grands propriétaires fonciers dans la sainte Russie, et vous tenez au mot d'ordre : la terre est à ceux qui la travaillent, en soutenant, dans le cas d'espèce, un groupe de citoyens aux dépens de onze millions de Tunisiens ? N'est-ce pas MM. les dirigeants syndicalistes toujours insensibles aux arguments les plus convaincants du gouvernement nous avertissant de la faillite prochaine de l'Etat et de la menace d'un scénario sur le modèle grec qui pèse sur notre économie sans avoir à notre disposition un soutien du genre l'Union européenne à quoi nous adosser ? N'est-ce pas chers instituteurs et professeurs du secondaire qui refusez de rejoindre les postes auxquels vous avez été affectés comme près d'une centaine de vos collègues à Gafsa et ailleurs où nos chères têtes brunes n'ont pas encore commencé l'année scolaire ? N'est-ce pas chers compatriotes qui, afin de faire parvenir vos doléances aux autorités, n'hésitez pas à envahir gouvernorats et délégations, à barrer des routes, à fermer écoles, administrations et commerces, à interdire à vos concitoyens de rejoindre leur travail ? Notre barque commune est en train de prendre l'eau de partout mais chacun d'entre nous compte, en spectateur, sur le voisin afin qu'à ses lieu et place, il se décide à écoper dur et à souquer énergiquement ! Le roi, finalement, n'est pas seulement nu mais il a été, manifestement, entièrement déshabillé par ceux-là mêmes qu'il a commis à sa sécurité !