Par Foued ALLANI Entreprises martyres ! Bien sûr qu'il y en a eu depuis le déclenchement de la révolution. A l'instar de la société humaine, le monde des affaires a compté en Tunisie ses entreprises tombées en martyres, celles qui ont été blessées et qui pourraient devenir handicapées à vie, celles militantes qui continuent de lutter, malgré les difficultés, afin de survivre tout en veillant à sauvegarder les emplois des salariés dans l'attente de l'inévitable embellie. Mais le monde des affaires a connu, hélas, lui aussi ses opportunistes. Ces chefs d'entreprise qui ont profité de la nouvelle réalité engendrée par le processus révolutionnaire pour se livrer à des pratiques, disons, louches pour ne pas dire autre chose ou même interdites. Il y a d'abord ceux qui ont toujours composé avec le pouvoir en place (quel qu'il soit, c'est leur philosophie) et qui, en raison des changements profonds que connaît le pays, se sont empressés de miser sur des «chevaux gagnants» à coups de financements, dans l'espoir de les voir prochainement aux commandes de l'Etat. Alliances stratégiques vitales pour eux afin de garantir certains choix favorables aux fortunes et faire en sorte que l'Etat continue de jouer le rôle de vache-à-lait pour certains «faux-projistes». Il y a ensuite ces chefs d'entreprise qui ont carrément fondé leur propre parti afin de défendre leurs choix. Nous ne parlons pas ici de ceux qui avaient souffert de la dictature, dont ceux qui lui avaient tenu tête, mais ceux qui, profitant du climat de liberté né grâce à la révolution, se sont dit pourquoi pas un leadership à caractère politique, surtout quand celui-ci va aider à consolider l'autre leadership, celui dans le monde des affaires. Citons enfin ceux qui ont profité de la faiblesse passagère de l'Etat et de la fragilité de son instrument administratif ainsi que la conjoncture pour piétiner les droits de leurs salariés et bafouer par la même occasion le Code du travail, emboîtant ainsi le pas à tous ceux qui ont commencé par ne plus respecter les feux de signalisation ou ceux qui se sont donné à cœur joie à la construction sans permis de bâtir. C'est à cette dernière catégorie d'opportunistes que nous allons consacrer le reste de notre chronique d'aujourd'hui. Disons d'abord pour commencer que cette catégorie de chefs d'entreprise a toujours posé problème aussi bien à cause des dépassements qu'elle enregistre quotidiennement vis-à-vis de la législation du travail que par son étendue démographique. Pour ces «affairistes» mi-escrocs, mi-charlatans, le respect de la loi n'a jamais été leur tasse de thé. Par peur de certaines sanctions, ils se pliaient néanmoins à contrecœur à certaines exigences de la loi, surtout quand les magouilles sur fond de corruption n'arrivent pas à étouffer certaines situations embarrassantes. Depuis le déclenchement de la révolution, ils profitent pour transformer leurs entreprises respectives en ferme personnelle avec un personnel taillable et corvéable à merci dont le statut est plus proche du serf (pour ne pas dire de l'esclave) que du salarié moderne. Bon nombre de chefs d'entreprise ont donc profité d'un certain relâchement pour se soustraire à leurs obligations vis-à-vis de leurs salariés, obligations qui ont été mises en place dans un esprit de justice et d'équité et qui ont, tout compte fait, un impact positif sur l'entreprise elle-même. C'est dire l'importance du rôle de l'Etat dans la gestion de la relation du travail et de son épanouissement. La révolution a en effet permis de constater a contrario l'intérêt de l'intervention des pouvoirs publics dans l'entreprise afin de l'empêcher de se transformer en jungle. D'un autre côté, l'on a pu constater que dans certaines entreprises, surtout publiques, ce sont les salariés qui ont profité de la révolution pour s'adonner à des pratiques parfois néfastes pour l'entreprise elle-même et par ricochet pour ses clients. Certaines revendications émaillées de comportements contre-productifs étaient en effet précoces et ne prenaient pas en considération les énormes difficultés par lesquelles passait le pays. Ce qui a poussé bon nombre de citoyens et observateurs à dire que «la révolution a été déclenchée par les chômeurs et autres marginalisés souffrant de précarité et ce sont les salariés bien chouchoutés qui ont été servis les premiers». Ainsi, ces chefs d'entreprise et ces salariés ont chacun de leur côté, hélas, fait montre d'un manque flagrant de maturité et permis, à cause de leurs agissements irresponsables, l'apparition de pratiques le moins que l'on puisse dire blâmables.