L'Ordre des ingénieurs tunisiens (OIT ) a organisé, hier, au Palais des congrès à Tunis, une manifestation en guise de célébration de la Journée de l'ingénieur qui correspond à la célébration du 34e anniversaire de l'OIT. Il s'agit d'une première en Tunisie, par le biais de laquelle le comité exécutif, élu depuis un an, tend à donner un souffle nouveau à la profession et rétablir le contrat de confiance qui fut rompu, entre l'Ordre et les ingénieurs. Cette rencontre vise, en outre, à éclairer aussi bien le public que les décideurs sur la situation ambiguë des ingénieurs. Ces derniers, et quoique faisant partie de l'élite tunisienne, sont confrontés à des injustices financières, fiscales et juridiques. Des milliers d'entre eux sont en proie au chômage. La rencontre représente l'occasion pour crever l'abcès et proposer des solutions aux différents problèmes dont la révision des textes juridiques et l'instauration de nouveaux critères susceptibles de promouvoir la contribution des ingénieurs au développement. La célébration de la Journée de l'ingénieur a été l'occasion pour scander moult slogans qui dénotent, tous, différentes problématiques de la profession, mais aussi des enjeux socio-économiques auxquels les ingénieurs doivent faire face et du rôle crucial que doivent jouer ces derniers dans le chantier de la reconstruction d'une Tunisie nouvelle. « La situation financière des ingénieurs et les défis de l'emploi », « L'ingénieur est l'espoir de la Tunisie », « L'union des ingénieurs est une force » et « L'impossible ne fait pas partie du monde des ingénieurs » ; autant de slogans, autant de positions qui soulignent la place de cette élite à la fois technicienne, visionnaire et politicienne dans la chaîne de développement. La formation et l'emploi : en décalage horaire M. Oussama Kheriji, président de l'OIT, a souligné l'impératif de procéder à l'évaluation de la situation des ingénieurs ; une situation caractérisée, hélas, par une fragilité financière, une détérioration de la qualité de la formation, par le risque éminent du chômage sinon par l'emploi précaire. Il faut dire que le chômage des ingénieurs est une réalité vécue par des milliers de compétences diplômées aussi bien du secteur étatique que celui privé. Elle revient, d'après M. Kheriji, à l'inadéquation entre la formation, d'une part, et les exigences du marché de l'emploi, de l'autre. « Bon nombre de spécialités ne sont pas étudiées de sorte qu'elles répondent aux besoins du marché de l'emploi. C'est le cas, à titre indicatif, de la spécialité de l'informatique qui, jugée comme étant moins compliquée que les autres, produit, chaque année, un nombre croissant de diplômés qui, toutefois, ne sont pas absorbés par le marché de l'emploi », explique-t-il. Il existe même des spécialités dont les secteurs y référant préservent une stagnation compréhensible, comme c'est le cas pour le secteur des investigations pétrolières. M. Kheriji évoque la question relative au développement du secteur privé dans le domaine de la formation des ingénieurs, une évolution qui enfonce le clou d'une embauche emblématique. « En 2010, nous avions 4.300 diplômés du secteur de l'enseignement privé. Ce nombre a carrément doublé au bout de cinq ans, puisqu'il a atteint, en 2015, quelque 8.500 diplômés », renchérit-il. Un programme en dix projets L'OIT tend, ainsi, à réhabiliter le mérite des ingénieurs en commençant par montrer du doigt tous les hics subis jusque-là. M. Lotfi Bou Saïd, vice-président de l'OIT et docteur en ingénierie électrique, insiste sur l'une des finalités de la rencontre, celle de transmettre des messages aux décideurs. Renouer le contrat de confiance entre les ingénieurs et l'OIT passe, inéluctablement, par la volonté confirmée et l'engagement de l'Ordre quant à la résolution des problèmes récalcitrants. Aussi, l'OIT vient-il d'élaborer tout un programme réformiste comptant 82 points, lesquels sont agencés autour de dix principaux projets. Les plus brûlants portent sur le volet financier, voire la rémunération des ingénieurs. Certains ingénieurs sont sous-estimés. Fuyant le spectre du chômage, ils s'adonnent à des emplois dévalorisants pour toucher entre 200 D et 400 D. Le deuxième projet porte sur l'emploi et les orientations sur lesquelles il convient de miser afin de réduire le taux du chômage auprès des ingénieurs. Notant que le nombre des « chômeurs de luxe » s'élève à 4.740. Le troisième projet porte sur la formation dont la qualité, aussi bien dans le secteur public que celui privé, a connu une nette dégradation. « Nous avons élaboré une feuille de route qui mérite d'être examinée et mise en application. Les ingénieurs sont une force constructive et non destructive. C'est le secteur qui n'a jamais fait de grèves. Nous avons des visions prometteuses pour hisser le pays au niveau socioéconomique escompté. Nous avons plein de projets dont le programme de formation, le programme d'investissement dans l'économie verte et bien d'autres encore », indique-t-il motivé. Il ne cache, cependant, pas pour autant sa déception quant à l'absence du chef du gouvernement à cette rencontre placée pourtant sous son patronage. « Le chef du gouvernement, qui est lui-même ingénieur, n'a pas daigné assister à la Journée de l'ingénieur, ce qui est désolant », souligne-t-il. Notons que c'est M. Mehdi Ben Gharbia, ministre chargé des Relations avec la société civile, qui a représenté le chef du gouvernement à cette rencontre. L'ingénieur : acteur fondamental au développement La Journée de l'ingénieur a réuni bon nombre de personnalités illustres du paysage politique tunisien. Encore faut-il rappeler que tous les gouvernements post-révolutionnaires s'appuyaient sur les compétences des ingénieurs. M. Kamel Ayadi, président du Haut comité du contrôle administratif et financier, a répondu présent. « La Journée de l'ingénieur acquiert, pour moi, une valeur particulière. Cette journée a été décidée en 1992. En ces temps-là, j'étais le secrétaire général de l'OIT. La contribution de l'ingénieur au chantier national ne devrait pas, poursuit-il, se restreindre aux seuls volets technique et économique. Sa qualité l'habilite à faire part de sa vision sur le modèle de développement et à jouer pleinement son rôle d'acteur fondamental au développement. Il doit aussi participer à la définition des grandes orientations du pays». Et d'ajouter que l'ingénieur a joué un rôle de taille dans l'édification de la Tunisie indépendante. « Nous sommes actuellement en pleine phase de reconstruction. Nous avons besoin des ingénieurs pour repartir du bon pied », conclut-il. De son côté, M. Ali Laârayedh, membre-leader du mouvement Ennahdha, insiste sur l'impératif d'éclairer le peuple sur la situation nationale dont la situation des ingénieurs. Il rappelle que les ingénieurs, de par la nature de leur profession, sont disposés à trouver des solutions aux problèmes. Or, l'OIT est restée longtemps incapable de les soutenir. « Après la révolution, tout a changé. Nous comptons près de 70 mille ingénieurs. Chaque année, quelque 8.000 ingénieurs sont diplômés du secteur privé et celui étatique. D'où la nécessité de défendre les droits des ingénieurs et de leur ouvrir la voie afin qu'ils puissent participer à la détermination des nouvelles orientations politiques », indique–t-il. M. Zied Tlimçani, une icône du sport tunisien et ingénieur agronome de formation, salue cette initiative qui vise à regrouper les ingénieurs tunisiens, toutes générations confondues. Selon son avis, les ingénieurs constituent une force vive qu'il convient de doter des moyens nécessaires pour qu'elle puisse apporter le plus. Il espère que cette rencontre sera un nouveau point de départ et qu'elle pourra aboutir à des solutions positives et pour les ingénieurs et pour le pays.