Le point nodal du débat parlementaire est le report des augmentations des salaires voulu par le gouvernement et rejeté par l'Ugtt C'est une plénière en demi-teinte qui a démarré hier au Bardo. En cause, non pas l'absentéisme des députés cette fois-ci, mais ce qui semble être une erreur de planification. Pas moins de six commissions se tiennent concomitamment avec la séance publique. A peine la présence marquée, 111 élus ont répondu à l'appel, et l'annonce par le président Mohamed Ennaceur de la démission de Noureddine Ben Achour du bloc de Nida Tounès ramené désormais à 68 sièges, que les députés se sont rués vers les salles, dont une particulièrement, où se tient la commission des finances, de la planification et du développement. Hier, c'est effectivement là-bas que tout s'est passé. La commission des finances, présidée par Mongi Rahoui, avait du pain sur la planche. Dans son agenda et pour le même jour, celle-ci reçoit par ordre chronologique l'Ugtt, l'Ordre des avocats, l'Ordre des experts-comptables, le Syndicat tunisien des agriculteurs et l'Utica. La première séance consacrée à l'audition des représentants de la centrale syndicale a été très suivie avec pas moins de 57 élus présents, presque une « mini-plénière ». Equité fiscale Conduite par Noureddine Taboubi, secrétaire général adjoint de l'Ugtt, les dirigeants syndicalistes ont essayé cette fois-ci de sortir du moule des revendications têtues pour développer un discours contestataire, certes, mais calme et constructif appuyé par des propositions concrètes. Les interventions portaient sur des dispositions du projet de loi de finances 2017. Le point nodal du débat est le report des augmentations des salaires voulu par le gouvernement et rejeté par l'Ugtt. D'emblée, Noureddine Taboubi a été clair, «nous refusons, a-t-il averti, le report des augmentations, l'Etat s'est engagé et l'Etat doit tenir ses engagements, parce qu'il ne faut pas que l'austérité pèse sur les catégories sociales précaires et ce patriotisme revendiqué à tout bout de champ stipule aussi qu'il faut respecter les engagements pris», a-t-il rappelé. Les membres de la délégation ont pris à tour de rôle la parole pour revendiquer des mesures précises mais qui rentrent dans le cadre d'une vision globale pour impulser l'investissement et augmenter les recettes. Cela ne peut se faire sans mettre en application le principe de l'équité fiscale, ont-ils préconisé. En se demandant pourquoi faut-il que les salariés soient les plus pénalisés de ce système bancal et injuste qui profite aux uns, toujours les mêmes, et sanctionne les catégories les plus faibles. Les dirigeants et experts syndicalistes ont expliqué que si, mesures d'austérité devaient être appliquées, elles ne devraient pas toucher en premier lieu les salariés qui s'acquittent de leurs devoirs en payant leurs impôts à la source. Ils ont appelé à une justice fiscale et sociale et en faveur d'une participation citoyenne de chacun en fonction de ses revenus. Des interrogations Si l'Etat doit augmenter ses recettes, il devrait les chercher là où elles se trouvent, si la situation du pays et des finances publiques appellent aux engagements et sacrifices de tous, nous sommes prêts, disent-ils d'une seule voix, mais il faut que cela soit partagé par tous. Et d'enchaîner, chacun avec ses mots, sur un certain nombre d'interrogations dont ils n'ont pas la réponse, disent-ils ; pourquoi le programme des caisses enregistreuses dont devaient se munir les cafés et salons de thé n'a pas été appliqué, pourquoi la numérisation de l'administration fiscale pour garantir un maximum de transparence et de traçabilité n'a pas été mis en œuvre, pourquoi les industries de production de boissons gazeuses et alcoolisées n'ont pas été soumises au système de comptabilisation de chaque mise en bouteille. Pourquoi les médecins qui devraient se soumettre depuis l'année dernière à un nouveau système déclaratif ont refusé. Pourquoi les ports sont-ils livrés à eux-mêmes quand le contrôle de la vraie contrebande ne s'opère pas uniquement dans les dépôts, mais surtout sur les ports. Pourquoi les lobbys arrivent-ils toujours à leurs fins et ce sont les salariés qui devraient supporter de nouvelles contraintes d'austérité. Il y a un décalage énorme, ont-ils martelé, entre les recettes réelles et celles déclarées de ceux qui ont l'argent. Pourtant, ce sont toujours les mêmes qui sont épargnés par le système et toujours les mêmes qui payent, se sont révoltés certains experts de l'Ugtt suivis attentivement par la salle. Trois députés ont réagi de suite, Hafedh Zouairi, Fadhel Ben Omrane et Mohamed Ben Salem, pour dire en substance que si payer ses impôts est une obligation et un devoir envers la communauté nationale, tout le monde aussi doit travailler. Or des milliers de salariés dans les entreprises publiques et de transport notamment, comme Tunisair, perçoivent des salaires et ne produisent rien, et l'Ugtt les protège. Ils ont interpellé la centrale sur l'argent qui coule à flots en dehors du circuit officiel en devises et en dinars à Ben Guerdane et ont demandé son aide pour agir efficacement sur ce dossier épineux et qui perturbe les équilibres nationaux. Enfin, ils on rappelé à l'Ugtt que la Grèce a été amenée non pas à repousser les augmentations salariales mais à réduire les salaires de 30% et même les primes de retraite, malgré le renflouement de ses caisses par l'UE de ce qui représente 12 fois le budget de la Tunisie. Il faut donc s'entraider, ont-ils signalé, pour ne pas être acculé à appliquer ce type de mesures radicales et pour éviter que le pays ne bascule dans le vide.