Trois films de femmes, au prisme de la sélection aux Journées cinématographiques de Carthage. La sélection officielle des Journées cinématographiques de Carthage, entre compétition officielle et première œuvre, propose aux spectateurs des films aux thématiques et aux traitements variés. Trois d'entre eux nous viennent du Maghreb et sont faits par des femmes. «Divines» de la Franco-Marocaine Houda Benyamina, «Zineb n'aime pas la neige» de la Tunisienne Kaouther Ben Hania et «A mon âge je me cache encore pour fumer» de la Franco-Algérienne Rayhana sont autant de regards féminins sur le cinéma que sur la question féminine. Trois films remarquables, qui allient émotions et vérités cash. Ils correspondent à plus d'un égard et attisent plusieurs questionnements sur l'évolution du faire filmique dans la région, — dont la sélection des JCC est en quelque sorte un miroir —, et de la situation de la femme dans les trois pays et au-delà. Dans «Zeineb n'aime pas la neige», Kaouther Ben Hania suit pendant plusieurs années son personnage principal, une enfant qui deviendra adolescente à la fin du film, sa petite famille (sa mère et son petit frère) et sa famille recomposée (le mari de sa mère et sa fille) et installée au Canada après avoir vécu en Tunisie. C'est un film sur le choix, pas toujours facile à prendre pour une femme de chez nous, quand son mari décède et qu'elle veut refaire sa vie auprès d'un autre homme. Le point de vue est celui de l'enfant, son enfant Zeineb, qui accepte mal l'idée de partir dans un nouveau pays où il neige tout le temps et de voir sa mère au bras d'un autre homme. La réalisatrice fait preuve d'audace en rompant dans son documentaire avec l'image idéalisante de la mère. Le personnage de Zeineb qui évolue d'une manière significative dans le film semble en même temps finir comme il était parti, plein de certitudes et renfermé sur son identité présente, dans le rejet de ce qui l'attend, au début du film, et le rejet de ce qu'il était, à la fin du film. D'une maman qui sort du cliché, il s'agit aussi dans la fiction de Houda Benyamina mais le contexte est différent. Le décor est celui d'un ghetto en France où se côtoient trafics et religion. «Dounia a soif de pouvoir et de réussite. Soutenue par Maimouna, sa meilleure amie, elle décide de suivre les traces de Rebecca, une dealeuse respectée. Sa rencontre avec Djigui, un jeune danseur troublant de sensualité, va bouleverser son quotidien», relate le synopsis. Dans ce tableau, la mère est le point faible de Dounia, qui doit toujours veiller sur elle et l'empêcher de commettre des excès. La réalisatrice en propose étonnamment un récit frais et pétillant, ponctué de bons moments, de rêveries et d'évasions entre copines — campées par d'excellentes comédiennes —, avant d'être rattrapées par la réalité. Comme souvent dans les films de cité, les personnages tournent en rond dans un certain enfermement, avec l'idée que le monde extérieur, les lumières de la ville leur sont interdites. Houda Benyamina offre quand même à Dounia son moment de plein feu avant de la faire revenir à ce lieu dont il est toujours difficile d'échapper. Quant à Rayhana, elle opte carrément pour un huis clos. «A mon âge je me cache encore pour fumer» se passe dans un hammam où «loin du regard accusateur des hommes, mères, amantes, vierges ou exaltées islamistes, des fesses et des foulards de Dieu se confrontent, s'interpellent entre fous rires, pleurs et colères, Bible et Coran». Ecrite à la base comme une pièce de théâtre, c'est l'œuvre de Rayhana qui évolue pour se muer en film. Un passage fidèle aux paroles de la pièce mais la traduction des scènes en langage des images réussit par endroits grâce à une bonne composition avec l'espace et les personnages et pèche dans d'autres par un jeu et des situations surdramatisées. Si l'on considère cette histoire comme métaphorique sur la situation de la femme de ce côté du monde, on peut y voir un patchwork de différents portraits de femmes que Rayhana veille bien à faire croiser, avec une belle brochette de comédiennes dont Hiam Abbas, Biyouna et Nadia Kaci. L'on pourrait sinon considérer cette histoire comme «vieux-jeu», surtout qu'en Tunisie on a eu notre «hammam» en 1990 avec «Halfaouine» de Ferid Boughedir, mais la réalité nous rattrape quand la réalisatrice affirme après la projection que son film ne pourra pas être vu en Algérie, son pays d'origine. Elle a même été agressée en 2010 à Paris à cause du thème de sa pièce de théâtre. Et surtout, le film est un point de vue féminin sur un lieu qui a tant fasciné les réalisateurs hommes, et pour ça, il n'est jamais trop tard. Entre «Zeineb n'aime pas la neige», «Divines» et «A mon âge je me cache encore pour fumer», il y a également, à travers le prisme des JCC, trois différentes manières de penser le cinéma et de le faire, venant de réalisatrices maghrébines. Le premier est une histoire entre la Tunisie et le Canada, produit par la Tunisie, la France, le Qatar, le Liban et les Emirats Arabes Unis, et vient d'une réalisatrice tunisienne installée à l'étranger. Le deuxième est une production française, réalisée par une Franco-Marocaine et qui se passe en France. Et le troisième est écrit par une Franco-Algérienne, filmé dans un hammam en Grèce avec des comédiennes vivant pour la plupart en France. Est-ce dû à la réalité de la condition de la femme dans nos contrées ou à la difficile réalité de la production filmique que ces œuvres sélectionnées aux JCC sont aussi liées au Nord, soit dans le discours, soit dans le récit, soit dans la manière de faire ? Même si chacun des trois films a sa part d'universel et de local, la sélection de cette année laisse-t-elle présager que le nouveau cinéma féminin du Maghreb est un cinéma off-shore ? Réalisatrices locales, où sont vos caméras ?