Aux yeux de l'ancienne gloire du Club Africain et de l'équipe nationale, l'obsession du résultat pousse les dirigeants des clubs à recruter des attaquants au lieu d'en former. «Un avant-centre buteur : voilà une trempe de joueur qui a disparu avec le temps. J'ai l'impression que la Tunisie n'en enfante plus. Deux raisons essentielles sont à la cause de la pénurie. D'abord, il n'y a plus d'espace pour que nos enfants jouent au football dans les quartiers. La seconde raison, c'est le peu d'intérêt que portent les dirigeants de nos clubs à la formation. De mon temps, nous nous adonnions à notre passion au coin de la rue. Il y avait tellement de terrains vagues, entre autres à « Tourbet El Bey » et à La Marsa, où on organisait des tournois de quartiers, presque tous les jours. Exception faite des quatre grosses cylindrées du championnat, la formation dans les clubs est quasi inexistante. Et même si elle existe, la formation dans les catégories des jeunes n'acquiert pas l'importance qu'elle mérite. Pire. Arrivés chez les seniors, les joueurs sont abandonnés à eux-mêmes. Ils ne bénéficient pas de l'encadrement spécifique pour les aider à passer dans le monde des seniors et par conséquent dans le monde du football professionnel. Regardez le cas de Taha Yassine Khénissi. Formé à l'Espérance de Tunis, il a dû aller compléter son apprentissage au CSS où il a fait ses preuves avant de revenir à son club de cœur. Aujourd'hui, on fait du n'importe quoi dans le domaine de la formation. Les techniciens qui exercent dans les catégories des jeunes ne sont pas des formateurs. Or, être un entraîneur-formateur, c'est une spécialité, un métier à part. Quand j'étais jeune joueur, Fabio sélectionnait un groupe de 10 à 20 joueurs, dont je faisais partie, pour des entraînements spécifiques. Il nous apprenait les ficelles, tels le jonglage, le contrôle et le contrôle orienté. Ce fut la belle période où nous jouions encore avec des balles en plastique. Il y avait aussi feu Ahmed Dhib et Larbi Touati qui avaient enraciné en nous la passion du football, l'amour du club et la grinta. C'était le temps où le football était une passion et non pas un métier. Mais je pense, qu'avec du recul, amateurs que nous étions, nous faisions mieux le métier que les pros d'aujourd'hui. Mais en même temps, faut-il les plaindre? Tant qu'ils n'ont pas reçu la formation adéquate, on ne peut pas leur en vouloir. Car le contrôle et le contrôle orienté, à titre d'exemples, font partie des qualités techniques qu'un avant-centre est censé maîtriser pour avoir une réaction rapide devant les buts adverses. Et cela s'apprend dès le jeune âge. Je pense que le professionnalisme a tout mis de travers. Les dirigeants et les entraîneurs ne pensent qu'aux résultats. Ils ramènent des avant-centres étrangers, essentiellement des Africains pour leurs qualités de buteurs, et laissent de côté les jeunes issus de l'école de formation du club. C'est pourquoi un joueur comme Khénissi a dû passer par le CSS pour se forger. D'ailleurs, à part Yassine Khénissi et Saber Khélifa, nous n'avons plus d'avant-centres buteurs, dignes de ce nom. Pour y remédier, il faut revenir à la base, la formation».