Majdi Abou Matar (Liban) et Syrine Gannoun (Tunisie) sont les deux metteurs en scène du spectacle «Le radeau» qui va faire l'ouverture des JTC cette année. Entre deux répétitions, il nous ont accordé cette interview. Comment avez vous eu l'idée de co-mettre en scène ce spectacle ensemble ? Majdi Abou Matar : Je suis l'un des élèves de Ezzedine Gannoun et du Centre arabo-africain de formation et de recherche théâtrale. Je suis venu en Tunisie entre 2001 et 2003. Je faisais partie de la première promotion du centre. Ensuite je suis parti au Canada où je réside depuis treize ans et même si je ne suis pas revenu en Tunisie j'étais tout le temps en contact avec Syrine et Ezzedine Gannoun.En 2015, j'ai appris que Gannoun était en train de préparer le projet du «radeau» où il comptait réunir les «enfants» de son centre. C'est l'histoire d'une embarcation de fortune avec à bord un groupe d'individus qui tente de rejoindre l'Europe. Je croyais que j'allais être un comédien dans ce spectacle. Mais voici que Ezzedine Gannoun nous quitte. Avec sa fille Syrine avec qui j'ai travaillé à mes débuts dans le centre, nous avons voulu mener à bon port ce projet. En tant que fondateur d'une troupe de théâtre au Canada j'ai voulu également participer à la production de ce spectacle qui doit faire l'ouverture des JTC 2016. Voilà, je suis en Tunisie depuis neuf semaines en train de travailler sur «Le radeau» «avec Syrine. On essaie sincèrement de faire un travail qui émane de notre cœur et du souvenir qu'on a de Ezzedine Gannoun. Syrine Gannoun : Pour moi c'est très difficile de porter le poids de cette production toute seule. Toute l'équipe d'El Hamra voulait absolument qu'on continue. Et quand j'ai regardé l'équipe qu'avait contactée Gannoun, cela m'a encouragé. Il avait beaucoup d'estime pour Majdi Abou Matar pas seulement en tant que comédien... Il soit fier qu'il était devenu metteur en scène et reconnaissant à son apprentissage. Majdi n'arrêtait pas non plus de développer la méthode de Gannoun tout en ayant sa propre méthode au Canada.Cette collaboration est donc pour moi comme une évidence pour trois raisons : l'estime qu'a Ezzedine Gannoun pour Majdi Abou Mattar , ensuite en tant que directrice du théâtre El Hamra, qui doit co-produire ce radeau, je ne pouvais pas avoir une personne mieux que lui pour partager avec moi cette première mise en scène et cette première production..Enfin c'est aussi pour que ce spectacle soit partagé afin que personne ne s'approprie à lui seul ce travail. Gannoun n'est plus là, il faut plus d'une personne pour le remplacer. Je ne voulais pas être la seule à faire cette mise en scène. C'est une volonté de tout partager. Avec un sujet d'actualité tous les jours traité à la une des médias, la mise en scène constitue un grand défi... W.A.M. : C'est un vrai défi effectivement lorsqu'on regarde le travail des médias sur ces embarcationS de fortune... C'est peut-être ce défi qui nous donne des forces. Le radeau est aussi toute une symbolique qui dépasse l'embarcation dont il est question dans les médias. Il y a une profonde lecture dans le voyage de l'être humain entre la vie et la mort et, comme le disait Ezzedine Gannoun, «c'est une fuite de la mort vers une autre mort !». Lorsque les médias diffusent des chiffres concernant ces voyageurs qui disparaissent il ne se posent jamais la question : qui sont ces gens disparus ou morts au large de la méditerranée. Ce spectacle donne un visage humain à toutes les statistiques. Qui sont ces gens, leurs histoires, leurs rêves...? SG : Le thème est déjà très contraignant parce que qu'on ne peut pas entrer en concurrence avec l'actualité. Mais le thème nous est déjà imposé ce qui en fait un exercice difficile. Il y a aussi la méthode de Gannoun qui passe à travers nous... son jeu organique... Comment va-t-on communiquer tout cela ? C'est le premier grand défi. Ensuite quel est notre apport par rapport au visuel ? Car il y a une autre contrainte imposée par Gannoun : Le radeau est un trampoline ! C'est une contrainte scénographique. Comment utiliser les corps dans un endroit fermé et en mouvement ? Il y a aussi le fait d'avoir huit personnages avec différents langages et dialectes. Quatre Tunisiens, deux Africains et deux comédiens du monde arabe. Comment toucher les gens en parlant de cette terrible réalité qui secoue nos pays arabes et africains ? Beaucoup de contraintes dans ce spectacle... Je trouve que c'est de la folie de le préparer en l'espace de huit semaines... On est peut-être fou d'avoir accepté ce challenge. Quel regards portez-vous sur le théâtre tunisien arabe et africains aujourd'hui ? W.A.M. : J'ai étudié le théâtre à Beyrouth et à l'époque on savait déjà que le théâtre tunisien était en avance par rapport aux autres théâtres arabes. On a vu beaucoup de spectacles tunisiens à Beyrouth... Les grandes expériences théâtrales effectuées en Tunisie ont eu de l'influence sur un bon nombre de jeunes libanais. J'ai eu la chance de faire partie du centre arabo-africain pour la formation et la recherche théâtrale en Tunisie car à l'époque je n'avais aucune idée sur le théâtre africain. Cela fait longtemps que je vis au Canada mais je suis très heureux de renouer avec le théâtre arabe et africain et j'espère qu'on sera à la hauteur des attentes du public et des professionnels du théâtre tunisien. SG : Il y a beaucoup de barrières aujourd'hui qui s'opposent au théâtre arabe et africain. Déjà dans le monde arabe et africain il existe beaucoup de barrières... Pour circuler dans les pays africains il y a d'immenses contraintes de visas et d'avions. D'autre part, la spécificité de la Tunisie c'est d'être en même temps un pays arabe et africain. Il est donc de notre devoir de faire ce rapprochement entre ces deux mondes. Personnellement et professionnellement, je continuerai à travailler sur ce rapprochement parce que cette union-là est l'avenir.