Les passes d'armes entre les partenaires sociaux se sont aggravées ces derniers jours. Pourtant, on aurait pu mettre en sourdine les escarmouches, somme toute inévitables dans une société démocratique. Et pour cause. Un large panel de Tunisiens nourrit un optimisme pour le moins raisonné à l'endroit de la conférence internationale des investisseurs qui se tient dans nos murs aujourd'hui et demain. L'enjeu est d'autant plus ambitieux que la situation économique stagne depuis des années. Par ailleurs, la loi de finances 2017 inquiète à plus d'un titre, étant conçue sous le label non déclaré de l'austérité tous azimuts. Dès lors, on s'attend à une espèce de sursaut d'intérêt de la communauté internationale à notre égard, pour deux raisons au moins. En premier lieu, il est on ne peut plus évident, aujourd'hui plus que jamais, qu'il n'y a guère de printemps arabe, mais qu'il y a, en revanche, une exception tunisienne. De l'Irak à la Libye, en passant par le Yémen et la Syrie, la démocratie est loin d'être à l'ordre du jour. La baïonnette, elle, l'est, et amplement. Des pays arabes hier encore stables ou en voie de modernisation en sont réduits aujourd'hui à l'âge de pierre. Telles des gargouilles moyenâgeuses gorgées de sang. Partout les milices, la guerre, la mort qu'on sème à tout vent, les populations civiles meurtries, les hordes de réfugiés hagards sur les chemins d'infortune. Seule rescapée du topo général macabre et destructeur, la Tunisie peine pourtant à se doter des moyens économiques de sa politique. Elle a dû faire avec l'interférence du terrorisme et des retombées vicieuses du cloaque libyen, conjuguées aux carences internes en matière notamment de laxisme à l'endroit des terroristes, de bonne gouvernance et de lutte contre la corruption. Au fil des années, cela a débouché sur la cristallisation d'une espèce de transition bloquée, suspendue entre deux mondes, l'un qui tarde à disparaître et l'autre qui peine à naître. L'irruption, bien que laborieuse, de la Conférence internationale des investisseurs pourrait offrir un début de relance. D'autant plus que même s'il y a beaucoup à redire, les projets visés par la conférence se recoupent en partie avec les objectifs du Plan de développement économique et social 2016-2020. En second lieu, la communauté internationale est bien tenue de consentir beaucoup de sacrifices pour pardonner certaines offenses faites à la Tunisie. En fait, depuis la révolution du 14 janvier 2011, on a eu droit à foule de promesses plus généreuses les unes que les autres. Qu'il s'agisse du G8 ou d'autres instances politico-financières internationales, les professions de foi déclamatoires sont légion. Sans suivi aucun. Hormis un surendettement extérieur qui atteint désormais des seuils intolérables, des traitements de choc contraignants sous la férule du FMI et de la Banque mondiale et un intéressement de plus en plus louche et problématique de l'Otan à notre pays. Ceci étant, comme l'instruit si bien la sagesse populaire, il n'est de cils pour pleurer et d'ongles pour te lacérer que les tiens. En matière de relations internationales, les intérêts priment la commisération ou l'apitoiement. Et les Etats n'ont pas des amis mais des intérêts. Dès lors, les partenaires sociaux doivent bien se mettre à l'heure de l'union sacrée. Qu'il s'agisse des syndicalistes de l'Ugtt, de la centrale patronale l'Utica ou de certaines professions libérales tels les avocats, il faut bien se fier à l'évidence. Le vaisseau Tunisie est notre passeport pour l'avenir et s'il coule, tous en feront les douloureux frais, sans exception. Il est des séquences historiques où les particularismes étroits doivent disparaître devant l'intérêt supérieur du pays. La patrie avant les partis, oui bien évidemment. La nation avant les corporations, assurément. De sorte que tout corporatisme y officie comme une excroissance pervertie, maladie sénile du populisme. L'année 2017 sera décisive. Disons-le sans ambages. Ça passe ou ça casse. La nouvelle loi de finances ainsi que la mise en branle du plan de développement économique et social assureront l'amorce du décollage ou la faillite pour de longues années. Dans un sens comme dans l'autre, il n'y a guère de fatalité. Il s'agit du sens des responsabilités citoyennes, à tous les niveaux, sans exception ni ordre de préséance. Et l'histoire nous dira, à brève échéance, si ceux qui, à tous les niveaux, tiennent aujourd'hui le haut du pavé auront été à la hauteur de l'intelligence du moment historique. Ou bien s'ils n'ont été que les comparses d'une cruelle tragédie où comme dans le Roi Lear, l'un doit être aveugle pour voir clair et l'autre devenir fou pour comprendre.