Par Soufiane Ben Farhat Dans son merveilleux Moby Dick, Herman Melville dit qu'un homme peut être honnête dans n'importe quelle peau. Cela est vrai aussi des différentes facettes — et postures — que peut revêtir la vie professionnelle d'un homme. Soit. Mais tout comme l'habit ne fait pas le moine, la distinction ne fait pas le mérite. Et cela est particulièrement de mise en politique. En fait, comme l'a dit jadis un dirigeant anglais, toute carrière politique finit mal. On peut bien s'échiner à l'enjoliver après coup. On veut bien la magnifier a posteriori. A la diable et à la manière de celui qui veut faire rentrer un éléphant dans le chas d'une aiguille. Rien n'y fait. L'ancien Premier ministre britannique Tony Blair était à Philadelphie hier pour recevoir la Liberty Medal. Une haute distinction que ses pourvoyeurs ont jugée méritée eu égard à l'"engagement de Tony Blair en faveur des droits de l'Homme". Une manière de rappeler qu'il y a toujours moyen de s'aviser d'infléchir rétroactivement le cours des carrières politiques. Par reconnaissances de circonstance, discours et distinctions interposées. En fait, la médaille de la liberté est décernée annuellement par le National Constitution Center de Philadelphie. Elle récompense des individus ou organisations militant pour la liberté dans le monde. Tony Blair en est l'heureux récipiendaire pour ses initiatives en faveur d'une meilleure gouvernance en Afrique, ainsi que pour son travail au sein de la Tony Blair Faith Foundation. Une fondation chargée de promouvoir la tolérance religieuse en vérité. Or, cette récompense survient à une dizaine de jours de la publication des mémoires de Tony Blair. Et lesdites mémoires ont déclenché déjà, en Grande-Bretagne, une vive polémique pour le rôle de Blair dans le déclenchement de la guerre en Irak. Elles s'étalent bien sur 718 pages. Tony Blair y justifie longuement sa décision de participer à la guerre en Irak. Une guerre qui a tôt fait de le rendre impopulaire tant au Royaume-Uni que dans de nombreux pays des quatre coins de la planète. Il s'en explique, assume, persiste et signe. Tout en concédant qu'il n'avait pas prévu le "cauchemar" qu'est devenue cette guerre. Il s'y attarde dans une interview donnée il y a quelques jours au Guardian : "Comment peut-on ne pas ressentir de tristesse pour ces vies perdues? Mais quand j'emploie le mot de responsabilité, je lui donne un sens profond. Je dis dans le livre que le terme de responsabilité s'entend au passé comme au futur. Et c'est ce que je ressens. Ce n'est pas une coïncidence si je consacre maintenant une grande partie de mon temps au Moyen-Orient et au dialogue interreligieux". Au Moyen-Orient, comme on le sait, Tony Blair est, depuis juin 2007, l'envoyé spécial du Quartette. Ledit Quartette est composé des Etats-Unis d'Amérique, de la Russie, de l'Union européenne et des Nations unies. Et dans son nouvel habit diplomatique, Blair a brillé jusqu'ici par son absence. Le principe général du droit instruit bien que "nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude". L'ancien Premier ministre britannique ne le sait que trop. Les gens le jugent précisément sur son fiasco colossal (dans le sillage des Etats-Unis d'Amérique) au Proche-Orient. S'en prévaloir comme un haut fait équivaut à parler de corde dans la maison du pendu. D'ailleurs, mercredi dernier, Tony Blair a décidé à la dernière minute de reporter la soirée de lancement de son livre autobiographique en raison précisément des menaces lancées par des protestataires. Une séance de dédicaces prévue dans une grande librairie de Londres a également été supprimée pour la même raison. La grande réception à la Tate Modern de Londres pour le lancement de ses mémoires a été donc ajournée en catastrophe. Des manifestants hostiles à l'engagement de la Grande-Bretagne en Irak avaient annoncé qu'ils tenteraient de la perturber. C'est dire que les discours et les faits divergent. Mieux, les discours en disent long sur le vrai cours des choses. Qu'il ait ou non reçu la Liberty Medal ne change rien à la véritable carrière de Tony Blair dans l'opinion. C'est-à-dire dans ce qui est déjà l'histoire, l'image essentielle gravée dans la postérité. Moralité de l'histoire : rien ne sert de discourir, il faut agir à point.