Ils sont près de 3.000 jihadistes à se préparer à retourner en Tunisie, revenant de foyers de tension, en l'occurrence la Libye, l'Irak et la Syrie. Que faut-il faire pour préserver le pays de leur capacité de nuisance, une fois de retour ? Le débat est lancé ! On ne parle plus ces derniers jours que des «jihadistes» qui vont revenir en Tunisie après avoir perdu la guerre en Syrie, en Libye et en Irak. Que faut-il faire en prévision du retour de quelque trois mille terroristes tunisiens (certaines sources parlent de cinq mille) qui ont participé aux combats durant près de cinq ans (de 2012 jusqu'à fin 2016) qui ont opposé l'armée syrienne aux daéchistes, l'armée irakienne aux fondateurs de l'Etat islamique à Moussol et les soldats de Khelifa Hafter à Syrte et à Benghazi? D'abord, faut-il leur permettre de regagner la Tunisie comme s'ils étaient des émigrés ordinaires qui décident de rentrer définitivement à la mère patrie? Ensuite, où les caser au cas où la justice parviendrait à établir qu'ils sont impliqués réellement dans des actes terroristes dans les pays où ils ont passé les cinq dernières années? En d'autres termes, la Tunisie dispose-t-elle des capacité d'accueil carcérale aménagées selon les normes internationales à même d'accueillir ce type de hors-la-loi ? Enfin, comment faire pour les réintégrer dans la société, les pousser ou les aider à abandonner leur idéologie terroriste basée sur une fausse interprétation de la religion islamique et les encourager à déclarer qu'ils reviennent à la voie juste et à demander pardon au peuple pour les malheurs qu'ils ont causés ? Le président Essebsi lance le débat Comme à son habitude, le président de la République, Béji Caïd Essebsi, connu pour son courage et son audace à n'esquiver aucune question brûlante ou à produire des réponses évasives, a lancé le débat qui était confiné dans les salons feutrés jusqu'à ce qu'il soit révélé au public quand le chef de l'Etat a déclaré : «Ces jihadistes sont des citoyens tunisiens et personne n'a le droit de les empêcher de retourner en Tunisie ou de leur ôter leur nationalité tunisienne. Ils passeront devant la justice pour payer de leurs crimes. Sauf que la Tunisie n'a pas les prisons qu'il faut pour les accueillir». Et à aucun moment, le président de la République n'a parlé de la possibilité de repentir pour ces «jihadistes» égarés, sauf que les analystes et observateurs qui lisent dans les intentions du chef de l'Etat ont trouvé qu'il balisait avec ses déclarations la voie à la loi sur le repentir qui serait déjà en phase de rédaction. Ces analyses ont obligé Saïda Garrache, conseillère auprès du chef de l'Etat et Ridha Bouguezzi, porte-parole de la présidence de la République, à intervenir publiquement pour souligner que «le président n'a jamais déclaré que les terroristes seront graciés et qu'il n'a jamais parlé de loi sur le repentir. Sa position est claire: ce sont des criminels et c'est à la justice de décider du sort qui leur sera réservé». Et le débat de sortir sur la voie publique, accompagné d'une polémique politico-idélogique qui nous rappelle dans ses détails les querelles interminables des premières années de la révolution sur la question identitaire. Les juristes se contentent, à l'instar de Kaies Saïd — le constitutionnaliste qui ne dérive jamais dans ses analystes du contenu de la constitution — trouvent que «le président Béji Caïd Essebsi n'a pas violé la constitution comme on l'en accuse en déclarant que les jihadistes ont le droit de retourner en Tunisie. Il a agi aussi en homme d'Etat qui respecte le principe de la séparation des pouvoirs en précisant que c'est à la justice de décider de leur sort». Quant aux experts se proclamant spécialistes des groupes jihadistes comme Sami Brahem ou le colonel-major Mokhtar Ben Nasr, ils préfèrent aborder la question sur le plan «réintégration des jihadistes repentis ou révisant leurs orientations» et aussi sur le plan purement sécuritaire. Sami Brahem appelle à une «approche multidimensionnelle qui a pour but de remettre les repentis sur le droit chemin. Mais pour commencer, il faut que ces derniers déclarent ouvertement qu'ils abandonnent leurs idées jihadistes et qu'ils acceptent que des psychologues, des imams et des assistants sociaux les prennent en charge au sein de leur prison et les accompagnent tout au long de leur processus de rédemption». «Malheureusement, ajoute-t-il, on ne sait pas encore ce que comprend la stratégie nationale de lutte contre le terrorisme adoptée récemment». Quant à Mokhtar Ben Nasr, il exprime sa conviction que les jihadistes «pourront déclarer qu'ils se sont repentis. En réalité, ils n'abandonneront jamais leurs idées et il existera toujours un réel danger de récidive avec les jihadistes de retour des zones de conflits». Il ajoute : «Ces jihadistes ont connu la rupture identitaire et sociale et il est très difficile de rétablir ce problème d'identité». «Fermons la porte au terrorisme» Et comme le débat est ouvert à tout le monde, y compris ceux que les TV n'ont pas l'habitude d'inviter et qui préfèrent se prononcer par écrit (parce que l'écrit reste pour l'Histoire estiment-ils), voilà le Pr Hamadi Ben Jaballah qui dresse «les conditions de la rédemption et le devoir de préserver la patrie» pour nous dire que «l'égarement n'est pas définitif et que toute personne, quelles que soient les erreurs qu'elle a commises, peut se sauver par la grâce d'une déclaration de repentir profonde et irréversible». «Le devoir nous appelle, précise-t-il, à juger ces jihadistes pour préserver les droits de la patrie et des citoyens sinistrés. En parallèle, le devoir nous dicte de sauver ces mêmes jihadistes en leur administrant le traitement propice qui les débarrassera de l'idée de culpabilité qu'on a réussi à leur inculquer et qui les a conduits à trahir leur pays et à tuer leurs concitoyens». Et en attendant que les choses se clarifient auprès des principaux partis politiques, notamment Ennahdha et Nida Tounès, et que le gouvernement réponde officiellement ou officieusement aux rumeurs selon lesquelles l'Europe voudrait installer les jihadistes dans des camps de rééducation en Tunisie et qu'elle est prête à en assurer le financement, la société civile a décidé de prendre l'initiative d'organiser le 24 décembre une marche populaire placée sous le slogan : «Fermons la porte face au terrorisme». Pour le moment, on ne sait pas ce que Youssef Chahed envisage de faire face à la possibilité de voir déferler en Tunisie dans les prochaines semaines ces milliers de jihadistes qui retourneront pour achever le travail. Des sources syndicales sécuritaires précisent que 800 terroristes sont déjà de retour et qu'ils sont sous surveillance sécuritaire.