Près de 75 % des entreprises tunisiennes affirment avoir été négativement impactées par la réforme du système des chèques, selon une étude récemment dévoilée. Retour sur les détails. Cette proportion alarmante révèle une perturbation profonde de l'activité économique à court terme, en particulier pour les entreprises en contact direct avec les consommateurs. L'étude souligne également que 60 % des sociétés interrogées ont constaté un déséquilibre significatif de leur trésorerie, tandis qu'une même proportion a suspendu ou reporté ses projets d'investissement. Ces conclusions sont le fruit d'un colloque organisé par la Confédération des Entreprises Citoyennes de Tunisie (CONECT), consacré à l'analyse des effets économiques du nouveau cadre légal relatif aux chèques. Deux études ont été présentées à cette occasion. La première se concentre sur les effets immédiats de la nouvelle législation sur le fonctionnement des entreprises, tandis que la seconde, menée par le professeur d'économie Moez Soussi, s'intéresse aux conséquences macroéconomiques à court terme. Le professeur Habib Zlitni, également économiste, a commenté, dans une déclaration à Express FM, les résultats en soulignant que bien que les données doivent être interprétées avec une certaine prudence – en raison de la brièveté du délai et du caractère encore partiel de l'échantillon –, elles traduisent une tendance nette et préoccupante. Il a précisé que cette réforme, bien qu'ayant pour objectif de rationaliser l'usage du chèque, semble avoir produit des effets contre-productifs sur l'activité des entreprises, en particulier celles qui opèrent dans les secteurs les plus sensibles à la consommation. Les résultats montrent clairement que les répercussions sont négatives dans l'immédiat, et bien que les analystes espèrent qu'elles soient transitoires, leur impact est déjà mesurable : baisse du chiffre d'affaires, affaiblissement de la trésorerie, recul de la confiance des investisseurs. Les petites entreprises apparaissent comme les premières victimes de cette nouvelle donne. Moins résilientes que les moyennes et grandes structures, elles peinent à trouver des alternatives de financement adaptées. Le secteur du commerce et de la distribution est le plus durement touché, révélant une inégalité d'adaptation face à la disparition du chèque comme instrument courant de transaction. Contrairement aux grandes entreprises, capables de se tourner vers d'autres sources de financement, les petites structures manquent de leviers pour pallier cette transformation soudaine du système de paiement. Face à la disparition progressive du chèque, les entreprises ont cherché des solutions de substitution. La lettre de change est ainsi devenue le principal outil alternatif, avec une augmentation de son utilisation de 60 %, suivie par les virements bancaires et les paiements en espèces. Toutefois, aucun de ces moyens n'a véritablement permis de compenser l'absence du chèque. Ce recours accru au paiement en espèces soulève un autre défi majeur : le risque d'encouragement de l'économie informelle et non structurée. Dans un contexte où les mécanismes de paiement sont affaiblis, les petites entreprises se tournent vers des pratiques non régulées, ce qui complique davantage la situation économique nationale. Pour Habib Zlitni, il devient impératif de repenser les fondements du financement de l'économie tunisienne. Il plaide en faveur d'une diversification des moyens de paiement, en s'appuyant non seulement sur les instruments bancaires, mais aussi sur des mécanismes financiers alternatifs. L'économie tunisienne a besoin d'un système de paiement moderne, souple et inclusif, capable d'intégrer les réalités de toutes les catégories d'entreprises. Les résultats de la deuxième étude, portant sur les effets macroéconomiques du premier trimestre 2025, confirment cette tendance alarmante. Elle révèle une hausse de 12 % de la circulation fiduciaire, traduisant une augmentation significative des paiements en espèces, en parallèle d'une chute marquée des transactions par chèque. Ce déplacement des habitudes de paiement reflète une perte de confiance dans les instruments classiques et un repli vers des méthodes plus immédiates, mais souvent moins traçables. L'analyse propose un scénario contrefactuel : si l'économie tunisienne n'avait pas subi de chocs au cours du premier trimestre 2025, le taux de croissance aurait pu atteindre 2,2 %. En réalité, il s'est limité à 1,6 %, et pourrait même reculer à 0,6 % à cause des perturbations engendrées par le nouveau système de gestion des chèques. Cette réforme, en bouleversant l'architecture du système de paiement, a provoqué un effet de cascade sur l'ensemble des transactions économiques, freinant la dynamique de croissance attendue.