Par Boubaker BENKRAIEM (*) C'est mon troisième cri d'alarme, Mesdames & Messieurs, le premier ayant été lancé le 15 janvier 2015 (La Presse, page 7), et le deuxième le 19 septembre 2015 (La Presse, page 9). Je posais, alors, la question suivante : devons-nous attendre que les «jihadistes» tunisiens, soient de retour pour commencer alors à chercher, à la va-vite, des solutions d'urgence, donc, peut-être, légères et inefficaces ? Mon interrogation aujourd'hui est ainsi : Daech ne tiendra pas longtemps et ses jihadistes vont la quitter, en désertant par vagues successives et les nôtres, qui sont, malheureusement, assez nombreux, le feront aussi, et tenteront de rentrer, assez discrètement, en Tunisie. Que faire alors? La guerre en Syrie et en Irak sera tôt ou tard finie et les «combattants» étrangers seront obligés — ceux qui n'auront pas déserté — à chercher et trouver refuge... Quelque part, soit dans les pays voisins ou même beaucoup plus loin. Par mes deux articles sus-indiqués, j'ai attiré l'attention des pouvoirs publics, des partis politiques, des organisations nationales et de la société civile sur le très grave danger que nous risquons d'affronter lors du retour de ces «concitoyens très spéciaux» qui sont partis «imposer par les armes» le khalifat. Ces revenants auront survécu aux foyers terroristes où, pour la plupart, ils ont combattu, un peu partout, en Syrie, en Irak, en Afghanistan, en Libye et dans les pays du Sahel africain. Mon inquiétude, mon angoisse ou mon appréhension sont d'autant plus grandes que nous risquons d'être pris au dépourvu, dans cette affaire d'une gravité extrême, avant que nous n'ayons pris toutes les dispositions nécessitées par cette délicate situation ! Ce qui est incompréhensible et inimaginable, c'est alors que nous sommes réellement en guerre contre le terrorisme, beaucoup de nos concitoyens, dont certains parmi l'élite, ne se rendent pas compte de ce danger. Celui-ci ne proviendrait pas, uniquement, des terroristes composant les cellules dormantes ou planqués quelque part dans nos djebels qu'on ne doit, par ailleurs, ni oublier ni négliger, mais de ces jeunes et moins jeunes tunisiens qui ont été embrigadés par des recruteurs sans foi ni loi et tout cela dans des lieux censés diffuser la parole de Dieu. Ces «jihadistes» rentreront, très bientôt, au pays, certainement par petits groupes ou individuellement, mais ils le feront dans la plus grande discrétion, sachant pertinemment qu'ils doivent rendre des comptes. Mais ce qu'il ne faut pas perdre de vue, ce sont les transformations survenues dans leurs personnalités, leurs caractères, leur «rang social», ce qui a certainement occasionné et pour nombre d'entre eux, des changements dans leur mentalité, dans leurs préoccupations, dans leur manière de vivre, et surtout dans leurs ambitions. La plupart d'entre eux ne seront obsédés que par la poursuite du «jihad», particulièrement contre leurs coreligionnaires ( !), y compris les femmes et les enfants. Quelques-uns de ces jeunes compatriotes «jihadistes» ont pu, certainement, revenir et rentrer, clandestinement, en Tunisie. On doit les retrouver, les arrêter et les isoler en attendant l'arrivée des autres. Mais qu'ils soient avec Daech, ou avec d'autres organisations terroristes, les survivants, voudront et tenteront de rentrer. Sommes-nous prêts à les accueillir ? Que ferons-nous alors de ces jeunes, ces jeunes à la gâchette facile, ces bombes à retardement, qui ont vécu une période plus ou moins longue en train de guerroyer, n'appliquant ni lois ni règles, ne respectant ni instructions, ni prescriptions, ni préceptes, s'étant habitués à une situation de désordre, de guerre et de conquête, intéressés uniquement par la «ghanima» qui leur a été promise, et pour certains par le martyre en vue de disposer, au plus tôt, des «houris» qui leur sont destinées ? Aussi, faut-il, d'ores et déjà penser, et tant que nous avons encore le temps, préparer, à nos éventuels revenants, une structure spéciale chargée de recueillir ces égarés et ces illuminés. Cette structure disposerait des centres de rétention qui seront créés et implantés, à l'écart de tout contact avec la population. La zone saharienne, grâce à son immensité, et l'île de la Galite, grâce à son isolement, sont tout indiquées pour les accueillir. Ils auront tout le loisir de participer au développement de ces régions et de réfléchir à tout le mal qu'ils ont fait, à tous les orphelins qu'ils ont laissés et à tous les remords, s'ils peuvent en avoir, qu'ils garderont leur vie durant. Ces revenants, quelle que soit la durée de leur séjour dans les foyers terroristes, quelle que soit la mission dont ils ont été chargés, quelle quoi soit la responsabilité qu'ils ont accomplie, quel que soit le bilan macabre de leur engagement au combat, doivent être arrêtés, isolés et pris en charge par des commissions composées de spécialistes en renseignements, de militaires, de juristes en vue de faire le tri et les répartir en différents groupes : 1 - Les tueurs et assassins 2 - Les combattants de deuxième ligne 3 - Les logisticiens 4 - Les formateurs 5 - Les doctrinaires 6 - Les propagandistes 7 - Les techniciens (en informatique, en communications, etc.). Mais cela ne peut être fait que si les responsables, au plus haut niveau de l'Etat, ont la volonté politique de le faire. Aussi, ils doivent prendre, d'ores et déjà, la décision pour que les différents départements ministériels se mettent en branle. Cependant, il faut veiller à ce que tous les groupes de revenants soient isolés. Même durant la période transitoire, ils ne doivent, en aucun cas, être mêlés aux prisonniers de droit commun. C'est alors que des commissions composées de spécialistes du renseignement, de psychologues, de psychiatres, de maîtres en théologie et en sciences humaines, de médecins, doivent intervenir pour le grand interrogatoire en vue de tout connaître (qui les a convaincus pour faire le jihad ? Qui les a encouragés à partir ? Les raisons de leur engagement ? De leur recrutement ? Financement ? Déplacement ? Formation ? Mode de vie ? Salaires ? Contacts avec le pays, les familles ? Participation aux combats dans les divers foyers terroristes ? Participation à des opérations dans d'autres pays ? Identités des contacts en Tunisie et ailleurs avec numéros de téléphone, e-mail ? etc.). Je voudrais, par le présent article, tirer de nouveau la sonnette d'alarme et reposer la même question : avons-nous pris toutes les dispositions adéquates pour l'accueil des terroristes qui, une fois les combats terminés — et ils vont l'être assez rapidement, et souhaitons qu'ils le soient le plus tôt possible pour le bonheur des différents peuples qui les subissent —, rentreront en Tunisie ? Allons-nous leur proposer le pardon ? Allons-nous fermer les yeux et devenir aveugles devant tout ce qu'ils ont fait ? Allons-nous accepter leur repentance, cette repentance qui est quelque chose d'absolument invérifiable? Et si on l'accepte, pourquoi ne pas l'accepter aussi pour les prisonniers de droit commun ? Par contre, notre jeune démocratie voulant instituer des règles de droit, ces terroristes doivent, absolument, être jugés conformément à la loi en vigueur. Comme ils se comptent par centaines sinon par milliers, malgré les pertes au combat, il est impensable de ne rien faire. Comme il est impossible de les avoir tous à l'œil, vu leur nombre et leur dispersion géographique, et vu la gravité de ce problème qui est tellement important, tellement sérieux et tellement grave qu'il dépasse les compétences d'un seul département ministériel. Plusieurs ministères sont concernés de loin ou de près par ces aventuriers, de retour au pays. D'ailleurs, étant donné la complexité de la question et les horreurs qui ont été commises par ces jeunes tunisiens, et les raisons profondes qui les ont poussés à participer à cette répugnante activité que notre pays subit de temps à autre, il est nécessaire de désigner parmi les membres des commissions d'enquête et de suivi qui seront chargés de cette affaire des spécialistes en psychologie, en psychiatrie, en sciences humaines, en théologie, en renseignements, etc., dans le but de cerner toutes les données de cette délicate question. Quant à la conduite à tenir vis-à-vis de ces revenants, des propositions étudiées par une commission de spécialistes et d'experts en matière de sécurité, de défense, de renseignements et de juristes peut être chargée de ce sujet et proposera au gouvernement plusieurs modes d'action. Cette étude nécessitera, au moins, plusieurs mois de travail pour préparer les textes, les moyens, l'encadrement et les personnels, la mission à spécifier, les travaux à leur assigner, l'endroit où les camps seront implantés et la mise en place des camps qui nécessite du temps et des moyens. C'est pourquoi, et pour ne pas mêler ce genre de prisonniers avec les citoyens emprisonnés pour des griefs de droit commun, il y aurait lieu de préparer à leur intention plusieurs camps en toile, un pour chaque deux cents individus, des camps organisés, protégés, renforcés et hautement sécurisés, dans le sud saharien où ils seront installés, même avant leur jugement, et auront tout le temps de se remettre en question et en cause, de faire leur autocritique, de commencer à purger leur peine tout en participant à la lutte contre la désertification. Les régions de Borj Bourguiba, d'El Kamour, de Bir Aouine, de Garaât Sabeur, de Jenaïen, sont tout indiquées pour les recevoir. L'île de la Galite peut, aussi, en recevoir une partie. Les camps sont à mettre sous la responsabilité de l'Armée nationale (responsable de la sécurité et de la logistique), avec des équipes de la Garde nationale, des services spéciaux, des établissements pénitentiaires, de la santé, de la justice et de l'agriculture. Ce dernier groupe sera chargé du côté technique relatif aux travaux de plantation de forêts, dans le but de lutter contre l'avancée du désert. Cependant, étant donné la gravité des faits accomplis par la majorité de ces revenants, ceux-ci seront, normalement, sévèrement jugés. Quant à ceux qui risquent d'être acquittés par les juges, pour manque de preuve, je pense que le fait d'avoir participé à une organisation terroriste est suffisant pour être condamné. Ils doivent être maintenus sous surveillance et contrôle administratifs le temps qu'il faut, pour un lavage de cerveau en vue d'une reconversion tout en effectuant des activités d'utilité publique (plantation d'arbres et travaux de protection antidésertification). Rappelons-nous l'amnistie accordée à l'occasion de la révolution et les terroristes condamnés qui ont été libérés en 2011. Certains parmi ceux qui ont bénéficié de cette erreur politique monumentale avaient abattu des agents de l'Etat, lors de l'affaire de Soliman (2007), et purgeaient une peine de prison à perpétuité. Pour remercier la révolution tunisienne de la chance exceptionnelle qu'elle leur a donnée, ces amnistiés n'ont pas perdu leur temps et ont, aussitôt, rejoint les premiers éléments terroristes dans les djebels et la suite, inutile de la rappeler. Mais quand il s'agit de «terroristes» qui ont perdu le sens de la mesure, qui ne vivent que pour une certaine revanche, qui ont accepté d'aller se battre contre des musulmans comme eux pour une cause qui n'est pas la leur, ces gens-là ne peuvent, en aucun cas, et malgré les mille et une promesses qu'ils nous feront, revenir au droit chemin et vivre en bonne intelligence avec le peuple tunisien, nous ne devrons jamais les croire car ils attendront le moment propice pour agir ou réagir. La repentance, émanant d'eux, est, absolument, inacceptable. Bien sûr cette idée trouvera des opposants parmi ceux qui prétendent être des «houkoukiins» et qui s'évertueront à défendre, non pas ces «ex-jihadistes» dont certains ont commis des horreurs en laissant des orphelins et des veuves, mais ces prétendus «malheureux» et ces «pauvres» sans «défense», en affirmant leur attachement aux droits de l'Homme, et tenteront de leur trouver des justifications quant à leurs méfaits. A tous ces respectables concitoyens, je leur rappellerai la déclaration de M. David Cameron, l'ancien Premier ministre de sa gracieuse Majesté, la Reine d'Angleterre, pays démocrate, par excellence, depuis des siècles et qui, en réaction à la perte de deux policiers suite à une attaque terroriste, a purement et simplement déclaré, il n'y a pas si longtemps : «Je ne suis plus concerné par la question des droits de l'Homme». Que Dieu protège la Tunisie éternelle. *(Ancien sous-chef d'état-major de l'armée de terre, ancien commandant des unités sahariennes)