La controverse qui n'a cessé d'enfler, divisant l'opinion publique, s'est répercutée de tout son poids sur l'Assemblée, pour la fragmenter entre les partisans d'un non catégorique, contre ceux adeptes du ni oui ni non A l'instar d'une introduction devenue plus intéressante que le livre lui-même, les préliminaires de la plénière, tenue hier au palais du Bardo, ont pris de l'ampleur par rapport à l'objet initial, ce pour quoi elle a été convoquée. L'ordre du jour étant l'examen du projet de loi n° 80 relatif à la loi de finances complémentaire, pour l'année 2016. Et requérant, tout de même, la présence de la ministre des Finances, Lamia Zribi, et de son staff tôt le matin. L'examen tardif du texte de loi rectificatif relatif à 2016, devant chronologiquement être débattu avant la loi de finances 2017, a suscité peu de passion, pour être adopté en fin de matinée sans rencontrer de réelles résistances. En témoigne le résultat du vote, 101 voix pour, 19 contre et une seule abstention. Salah Bargaoui a regretté le non-respect des délais d'un projet soumis in extremis à l'Assemblée à la « 90e minute », quelques jours avant la fin de l'année. Pendant que Mohamed Ben Salem a appelé à renforcer les capacités de l'administration fiscale en ressources humaines et matérielles pour qu'elle s'acquitte de ses tâches et s'aligne sur les standards internationaux. Les recettes fiscales étant très en deçà des estimations, et les corporations, a-t-il rappelé, sont toujours hostiles à toute nouvelle réforme en mesure de renflouer les caisses de l'Etat. Le tableau présenté par le rapport de la Commission des finances est on ne peut plus sombre. Les estimations se sont avérées fausses. Pire, le gap qui sépare les calculs estimatifs à la réalité est profond. Ainsi le taux de croissance prévu dans la loi de finances pour l'exercice 2016 à 2,5%, est ramené dans la loi complémentaire à 1,5%. Le déficit public évalué à 3.664 MD, soit –3,9%, a grimpé à 5.219 MD, ce qui équivaut à -5,7%. Les recettes fiscales fixées à 20.600 MD chutent dans le texte adopté hier à 18.835 MD, le tout s'accompagne d'une dévaluation constante du dinar tunisien, qui passe de 1,97 DT pour un dollar, et poursuit sa chute à 2,12 par rapport à la même devise. Le non contre ni oui ni non Malgré l'extrême difficulté de la situation, le mécanisme interne de la séance publique a trouvé son appui ailleurs que dans les indicateurs nationaux pourtant très alarmants. Il est d'abord dans le décorum. Certaines parois de l'hémicycle se sont recouvertes de l'étendard national. Pendant que des chemises en carton rose, affichant le slogan « Non au retour des terroristes », étaient placées bien en vue sur les bancs réservés aux députés de Nida Tounès. D'entrée de jeu, la couleur est annoncée. L'unanimité facilement établie autour d'une initiative législative criminalisant le racisme, sur fond d'agressions visant des étudiants africains perpétrées ces derniers jours, a été aussitôt contrebalancée par une brouille générale sur le retour des jihadistes, ces « bombes explosives » des zones de conflits. La controverse qui n'a cessé d'enfler, divisant l'opinion publique, s'est répercutée de tout son poids sur l'Assemblée, pour la fragmenter entre les partisans d'un non catégorique, contre ceux adeptes du ni oui ni non. Les élus du bloc de la majorité, Ennahdha, ont choisi, eux, de travailler sur une position mitigée, préférant renvoyer la polémique à plus tard. Du coup, leurs interventions s'efforçaient d'aiguiller la séance vers son ordre du jour premier, l'examen du projet complémentaire, sans succès d'ailleurs. Problème structurel, selon le règlement intérieur, ces prises de parole précédant le débat général n'ont d'autre socle légal que les points d'ordre. Mohamed Ennaceur, naviguant à vue, a préféré donner la parole à qui la demandait en attendant que l'orage passe. Et ces points d'ordre, trop nombreux, de s'amonceler dans une excroissance déformée, affranchie du cours normal de la plénière. Double langage Le ton et les accusations étaient d'une force telle que les deux chefs des blocs majoritaires, Nourredine Bhiri et Soufiane Toubel, habitués à intervenir vers la fin des séances pour arrondir les angles et célébrer une harmonie à toute épreuve, ont tous deux demandé et obtenu la parole. Objectif, repousser les accusations et défendre leurs partis, et surtout leurs chefs de partis, respectivement Rached Ghannouchi et Béji Caïd Essebsi, accusés de tous les maux, «en prônant dans leurs discours le retour des terroristes de Syrie, de Libye et d'ailleurs». C'est Ons Hattab, parlant au nom de Nida Tounès, qui a rappelé «l'extrême dangerosité de ces terroristes responsables de massacres», faisant valoir la condition logique et légale qu'ils soient jugés par les pays où ils ont commis leurs forfaits. L'élue de Kairouan a également appelé à ouvrir des enquêtes pour identifier les filières responsables des envois des Tunisiens dans les zones de conflits, « qui devraient répondre de leurs actes ». Sur le chiffre de 800 jihadistes déjà rentrés en Tunisie, Mme Hattab a demandé des explications. Si le Front populaire, formation de l'opposition, s'est exprimé clairement contre «le retour des terroristes», Amar Amroussia, un de ses élus, a fustigé ce qu'il considère comme un manque de cohérence entre les députés de Nida Tounès et leur chef de parti, « puisque votre président, Béji Caïd Essebsi, ne s'y est pas opposé, en précisant même qu'il ne peut les jeter tous en prison ». Même son de cloche chez Jilani Hammami qui a accusé Nida Tounès d'hypocrisie et de double langage décliné en «une position affichée pour la consommation locale et les engagements pris dans les chancelleries étrangères en faveur du retour des terroristes». Après de violentes passe d'armes entre les députés qui auraient duré près d'une heure, l'hémicycle retrouve son calme en se vidant d'ailleurs. Quoi qu'il en soit, le retour des jihadistes, avec sa complexité et ses multiples ramifications, n'est pas un débat de société, ni ne devra faire l'objet de rivalités politiques.