Par Bady BEN NACEUR En Tunisie, dans le domaine des arts plastiques, le contact du grand public avec les œuvres d'art laisse encore à désirer, malgré la présence quasi généralisée dans nos régions d'écoles et autres institutions des beaux-arts. Traditionnellement, c'est à Tunis(*), puis dans la banlieue nord (Carthage, Sidi Bou Saïd, La Marsa et La Soukra) puis à Hammamet, Sousse, Sfax, Bizerte, Kairouan, etc, que les choses ont pu évoluer cahin-caha. Ce sont les galeries d'art — surtout privées — qui ont joué un rôle prépondérant dans ce domaine. Et, à un moindre degré, les Maisons de la Culture (les MC) du ministère de tutelle, où «l'espace galerie» n'avait pas plus d'importance qu'un simple «décorum», lors des vernissages où les artistes-exposants essayaient d'amplifier l'«événement» grâce à leurs proches et leurs amis. Ces MC qui, datant des années soixante, sont un «copiage» intégral de ce qui se passait en France, durant les années soixante, l'époque de Malraux et celle du TNP (comme au Centre culturel international de Hammamet) où le théâtre jouait, lui, au plus beau des arts, mais qui a fini aussi par perdre son public d'antan. Les MC Ibn Khaldoun (qui appartenait jadis, aux Italiens) et celle d'Ibn Rachiq, qui était autrefois, le vivier des colons agricoles, à l'avenue de Paris, à Tunis, n'accordaient pas la même importance aux œuvres d'art. Et ainsi de suite, à celles du cinéma, du théâtre, de la danse ou de l'animation culturelle qui se consacraient à la littérature et à la bibliothèque, aux conférences et, même, parfois, futiles, comme le jeu de cartes, le domino ou d'autres jeux de société, dans les anciennes Maisons du Peuple ! créées juste après l'Indépendance du pays. Dans le milieu des arts plastiques, surtout à Tunis et en l'absence encore de cette «école sfaxienne» qu'Aly Ben Salem avait fondée durant la Seconde guerre mondiale - Les centres culturels étrangers (français, italien, anglais, américain, espagnol, aucun arabe !), et en l'absence de musées tunisiens d'art contemporain ou moderne, ce sont les galeries d'art surtout privées qui auront été proposées et expérimentées par des artistes, des groupes et certains collectifs diplômés de l'école des beaux-arts à Paris ou, même, des beaux-arts de Tunis. Au départ, aidés à la fois par le ministère de tutelle et, surtout, par ces centres culturels étrangers, ils ont dû payer de leur argent et de leur temps (celui de l'enseignement et du gagne-pain) pour asseoir ces espaces d'art visuel, dont nous possédons encore des témoignages. Témoignages — avant le système off-set des grands encarts publicitaires, du fax et de l'Internet, pour des stratégies d'expositions d'œuvres d'art, des catalogues en noir et blanc où les œuvres étaient quasi invisibles ou nettes (hormis les dessins et autres gravures sur bois ou zinc) et où les prix — nous avons, dommage, perdu cette tradition — étaient indiqués en toute simplicité. Des exemples ? Les voici : chez Juliette Nahum, au Salon des arts, les peintures sur petits formats (des huiles d'artistes), aujourd'hui, renommés mais toujours sans avoir été cotés !), ne dépassaient pas 20 ou 90 dinars. A l'époque, cela équivalait à la paye d'un enseignant de l'école secondaire. Un autre : plus tard, avec l'ouverture des galeries Irtissem et Attaswisr, derrière notre journal, les prix étaient soudainement montés avec les crises du 26 janvier et de «la guerre du pain» début des années 1980. Entre 100 et 300 dinars ou même, extravagance, s'il en fut, à mille dinars pour les magnifiques toiles de Néjib Belkhodja qui exigeait sa parité au même titre que les artistes de l'Hexagone. Idem pour cet autre abstracteur que fut Ridha Bettaïeb. A quoi répondirent les artistes nouveaux de la galerie Attaswir qui exigeaient «manu militari» que l'on reconnût les œuvres de leur temps moins classiques, plutôt subversives, dans cette Tunisie qui avait faim et l'apparition de la peinture acrylique sur le marché, propice à un foisonnement de productions iconographiques correspondant à leur temps. Les expositions annuelles de l'Union des artistes plasticiens, à la salle du Palmarium, furent d'ailleurs à l'origine de certaines rixes entre les «anciens» (artistes de l'Ecole de Tunis) et les «modernes», ceux des galeries déjà citées. La suite? On la connaît, ces catalogues qui affichaient naguère leur cote ont malheureusement disparu... témoignage d'une époque qui se respectait pour certains principes ! Et depuis ce temps — jusqu'à ce jour —, ce sont plutôt les galeries qui font la pluie et le beau temps en toute chose...