Les arts plastiques en Tunisie eurent leurs années-lumière du début des années 70 à la fin des années 90. On y avait entamé un travail de réflexion sur la fonction et la finalité de l'activité artistique. Ce sont les groupes d'artistes — officiels, comme ceux de l'Ecole de Tunis, du groupe des Six qui réagissait depuis les années soixante, du groupe 70/80 qui changeait d'appellation tous les 10 ans — et surtout les galeries privées à Tunis (Irtissem, Attaswir...) puis dans la banlieue nord Cherif Fine Art, Ammar-Farhat, Aïn, Kalysté... sans oublier Chyem et son merveilleux collectif (durant 10 ans) qui furent les véritables réceptacles de l'art. Durant ces années-lumière, ces artistes qui ont laissé des empreintes indélébiles tant en Tunisie qu'à travers un «Maghreb des arts» encore ouverts à l'époque, et ces espaces galeries, lieux de toutes les découvertes, des échanges et des nouvelles perspectives, auront été d'un foisonnement artistique inouï, auprès du grand public. Et, bien sûr, toutes les autres formes d'expression artistique suivirent le même cheminement pour donner cette vigueur, aujourd'hui disparue, à un ministère de tutelle dont les manifestations culturelles à l'étranger démontraient bien la bonne santé de nos artistes et de leurs activités multiples. Je pense, notamment, au théâtre, à la musique, à la danse, au cinéma, au livre... Le paradoxe, cependant, fut que durant les vingt-trois dernières années, et malgré le développement culturel et artistique qui s'ensuivit (décentralisation des écoles et des instituts des Beaux-arts à travers les vingt-quatre gouvernorats), à aucun moment, les autorités d'alors ne pensèrent à doter le pays de musées d'art contemporain et/ou moderne, pour préserver tant d'œuvres d'artistes (plus de dix mille!) de l'oubli. Face aux musées archéologiques et aux sites célèbres du «sol antique», aucune vitrine de la «modernité» pour les visiteurs étrangers sur le «nouveau sol» tunisien. Les œuvres d'art (beaucoup de peintures mais aussi des sculptures, gravures, tapisseries et fresques murales, installations, assemblages, etc.) croupissent, pêle-mêle, depuis des décennies, sans aucune norme d'entretien — l'igonométrie et la restauration, notamment — dans les murs atteints de léprose de l'ancien palais Khaznadar. Ce grand «vide» muséal, hormis quelques tentatives (Centre d'art vivant du Belvédère devenu le mess des officiers, Maison des arts sans profil exact) n'augure rien de bon, surtout en ces temps de remise en cause de toute notre culture face à une autocratie de plus en plus envahissante. Quant à la Cité de la culture dont on attend encore la fin des travaux, elle n'est que l'image d'une véritable mascarade, un puits sans fond qui a englouti des milliards de dinars, argent du peuple gagné à la sueur et à la peine... Donc, tristes perspectives pour les arts plastiques en Tunisie ? Nous ne saurions quoi répondre sur ce sujet qui, normalement, devrait être d'une actualité pressante, urgente, pour le ministère de tutelle. La démarche, la plus logique, serait que chaque gouvernorat s'attelle à construire son propre musée, puisque les écoles des Beaux-arts existent de partout aujourd'hui. Une demande, en ce sens, pourrait être faite à l'ANC, tout comme la création d'un véritable marché de l'art — l'œuvre d'art étant une forme de théorisation, comme le savent si bien les mécènes et les banquiers de la place — et, bien sûr, une cotation en règle des artistes eux-mêmes. Même les galeries qui jouent encore un rôle prépondérant dans l'intégration des œuvres dans la vie quotidienne des citoyens, des nouveaux tissus urbains et comme valeur marchande, devraient être encouragées, à plus d'un titre, pour leur courage d'exister. Souvenons-nous du rôle déterminant qu'elles ont pu jouer contre le système dictatorial, comme viviers de l'imagination créatrice et même «subversif» quand l'ombrage fait à la société civile va grandissant. Espérons qu'aux prochaines élections, ces problèmes liés aux arts et à la culture seront résolus. Faute de quoi...