Par Bady BEN NACEUR Notre invité de la semaine : le plasticien Walid Zouari est un jeune talent que nous avions découvert au Printemps 2010 et que nous retrouvons aujourd'hui avec plaisir, à la galerie Samia Achour, à La Soukra, à travers une exposition personnelle (jusqu'au 17 avril). Propos que voici, sur les œuvres picturales de cet artiste qui ont quelque chose de déroutant, par l'énergie qui les anime à volonté et à propos de la personnalité de la galeriste, une aventurière intelligente de l'art contemporain et qui sait le mettre en valeur, pour le bonheur des visiteurs. Quelque temps avant la révolution du 14 janvier, l'aventure de l'art chez Walid Zouari prenait déjà, des proportions singulières, du fait du malaise social grandissant. De la toile du Net à celle du lin Spécialiste de la communication (son gagne-pain), il aménage son propre atelier de peinture, dans le même espace. Et quand il en a assez de la toile du Net, il va peindre, palper, caresser, triturer des formes et des couleurs — des médiums chimiques nés de la terre réels et non virtuels — sur la toile de lin posée sur un chevalet (ou au mur le plus souvent) pour illustrer son jardin intérieur; exprimer surtout ses craintes et ses fantasmes quant à la «vraie vie», la «vie devant soi», la cassure entre la tradition et la modernité la supposée contradiction entre l'Islam et la modernité; elle-même; l'image réelle ou virtuelle de l'ordinateur «qui nous sert de cerveau», et celle du peintre, qui évite de «vraiment» figurer étant donné l'«interdit figuratif» en Islam. Enfin, retrouver ce baume de l'art, seul capable d'évacuer toutes les angoisses à travers une pensée lyrique émouvante. C'est dans ce cadre-là que Walid Zouari, alors que nous l'avions visité au Printemps 2010, exprimait cette première étape de l'aventure de l'art, rendant compte du «visible» à travers des portraits de petits formats (à peine esquissés), des portraits railleurs et emblématiques de la révolte populaire annoncée. Et puis, de l'«invisible», sur grands et moyens formats pour dire cet univers qui navigue, jusqu'à ce jour entre le formel et l'informel, foisonnant de couleurs et apparaissant comme une sorte de re-création du désordre naturel. Des portes ouvertes sur la contemplation Aujourd'hui, ses peintures dégagent la même énergie, mais sans doute à travers un lyrisme plus calculé. Ses peintures «post-révolutionnaires» ont ainsi véritablement subi le choc du pressentiment et de la perception critique de la réalité — une réalité plutôt trouble encore, en Tunisie —, mais qui se prêtent à des ouvertures, moins troublantes et angoissantes. Ce sont des ouvertures de portes d'un imaginaire plus conciliantes. Celles de la contemplation des choses, dépassant les incidents, les heurs et malheurs de l'existence. On découvre, dans cette seconde étape de l'aventure de l'art de Walid Zouari, une sorte d'extase — du grec ecclés : extasis, «action d'être en dehors de soi», de la contemplation, comme nous le disions, ou même du ravissement. En sorte que, à travers cette exposition personnelle, on y voit des «compositions» — aucun autre titre que cela dans la liste des œuvres — pour nous faire agir et découvrir en tant que «Regardants» et, en soubassement, le langage des signes (fragments d'images, situationnismes, symboles à peine déchiffrables, plages de couleurs aératrices) pour nous aider à entrer de plain-pied dans cet univers où musiquent les couleurs, comme à travers une forêt de songe. Chacune des œuvres s'aligne, sur les cimaises, comme autant de fenêtres ouvertes sur la délectation, le plaisir de peindre de l'artiste. Et il faut du temps et une certaine énergie en retour, pour découvrir, enfin, la saveur de ces images aussi attirantes qu'imprévues: «Cette gaieté pleine d'imprévus», aurait dit Stendhal. Les ouvertures de portes de l'imaginaire — à travers les toiles et même des formats minuscules (presque tous carrés) — sont là pour éveiller la contemplation, l'émerveillement, l'extase, disions-nous. Allez voir cette exposition et vous verrez, chers lecteurs, que le fond et la forme se rejoignent, qu'ils deviennent un tout. Le fond, ce sont les fragments d'images issus d'une peinture d'images floues mais prévisibles, «c'est-à-dire visibles» et prêtes à entrer en rapport étroit avec votre regard. Ce sont, maintenant, des images épurées, riches de subtilités formelles, comme chez les plasticiens de «l'embargo» durant la première guerre d'Irak et qui savaient, dans le malheur, garder un caractère de sérénité absolue. C'est ça aussi être un artiste ! Garder la tête haute et le cœur à l'ouvrage, en attendant des jours meilleurs. Une digne héritière des galeristes d'avant-garde Quant à la forme, prétexte à l'esthétique, elle est le surgissement du Beau, pour en atténuer les tensions. Et cela, Walid Zouari l'a bien réussi. Attendons voir, de lui, de nouvelles avancées dans les subtilités du langage artistique issues de son époque. La traversée du «visible» pour l'«invisible» en fragments d'images fait pendant à la photographie elle-même, comme nous le disions, dans notre dernière rubrique, à propos des photographes et militants de la Révolution tunisienne. Maintenant, parlons de Samia Achour. C'est, d'abord, une plasticienne qui s'est mise à l'idée de cultiver son jardin des arts du côté de La Soukra. C'est une petite galerie — à l'image de celles qui firent honneur à l'art pictural militant tunisien (les galeries Irtissem et Attaswir) et qui, après cette inespérée révolution, cherche à transmettre et à encourager l'Art Nouveau. Samia Achour est, en effet, une femme courageuse qui cherche à encourager l'art contemporain et moderne. Elle a le flair pour dénicher et encourager les jeunes talents. Elle le fait bien et ces mêmes talents trouvent, auprès d'elle, un succès inattendu. Sa galerie, un espace d'une blancheur immaculée, de style architectural traditionnel, est un lieu civilisé et éduqué — j'insiste sur ces deux vocables. Comme Walid Zouari et d'autres artistes, mis en scène et en lumière, dans ce petit et charmant espace où viennent dialoguer des visiteurs intelligents (amateurs d'art ou curieux de tels évènements), elle ouvre, elle- même, à la contemplation des œuvres d'art exposées, son propre imaginaire d'artiste plasticienne. Ce qui est rare de notre temps…