Le Mouled commémore l'anniversaire de la naissance du Prophète en 571. Cette fête religieuse est célébrée dans le monde musulman le douzième jour de Rabîî el aouel, troisième mois de l'année hégirienne. Evénement culturel par excellence, la célébration du Mouled obéît à des rituels demeurés intacts malgré le passage des siècles. Cette fête se caractérise aussi par de nombreuses traditions populaires qui se maintiennent peu ou prou. Qu'en est-il ainsi des célébrations contemporaines en ce Mouled de l'an 1436 dont l'avènement coïncide avec le 3 janvier 2015. Entre assida et liturgies C'est vers la ville de Kairouan que seront tournés tous les regards le jour du Mouled. En effet, l'initiative originale de préparer la plus grande assida au monde devrait attirer, près de la grande porte de Sfax, une grande foule. L'objectif de cet événement est de faire entrer cette assida dans le registre du Guinness des records tout en rendant les honneurs à cette préparation culinaire emblématique du Mouled. Il existe ainsi des assidas de plusieurs sortes. Selon une coutume ancienne, il est dit que le Prophète affectionnait cette préparation. Dans les campagnes, l'assida se prépare avec de la semoule. On la sert ensuite dans de grands plats. Dans un petit trou au centre de l'assida, on verse du miel, de l'huile ou du beurre fondu. Très simple, cette assida est faite à base de semoule délayée dans beaucoup d'eau. On fera épaissir cette semoule par une cuisson à petit feu. Pour l'anecdote, il existe aussi une assida salée que les habitants du Cap Bon continuent à déguster. Cette assida est consommée avec la fameuse chakchouka, notre ratatouille de légumes. S'il existe plusieurs sortes de assida à la pistache ou aux noisettes, c'est bien celle au zgougou qui est la plus populaire en Tunisie. Cette assida est préparée avec la petite graine noire d'une des espèces de pin pignon. Ces graines sont pilées puis tamisées avant la cuisson. Cette pâte au zgougou a remplacé la pâte de semoule ancestrale. Quant au miel ou l'huile qui aidaient à faire passer l'assida traditionnelle, ils ont été remplacés par une crème parfumée versée au-dessus de la pâte de zgougou. Le tout est décoré avec des pignons, des pistaches, des amandes pilées et des dragées. L'assida au zgougou est incontestablement une partie de notre patrimoine immatériel culinaire. Tout comme l'assida ancestrale, elle obéît aussi bien à des arts-de-faire qu'à des rituels opératoires bien ancrés. Ainsi, ce sont les femmes qui, la veille du Mouled, préparent cette assida qui sera répartie dans plusieurs bols qu'on offrira le lendemain aux parents et aux amis, qui de leur côté feront de même. Certains usages font que certains d'entre nous se font un devoir de goûter à sept assidas différentes le jour du Mouled. Cette ferveur du Mouled se matérialise aussi par les « zgharits » des femmes lorsqu'elles ont fini de préparer leur assida. De plus, il est de tradition de réserver aux petites filles la décoration à base de fruits secs et de bonbons qu'elles déposeront sur les deux crèmes superposées. De fait, l'assida au zgougou est très différente de celle de nos ancêtres et sa simplicité très rurale. Les deux préparations portent le même nom mais tout les sépare, aussi bien leurs origines rurales ou urbaines que la sophistication de l'une et la sobriété de l'autre. Ferveur dans les Zaouias Comme chaque année, la ville de Kairouan est le théâtre d'une célébration particulière du Mouled. Au-delà de la commémoration officielle qui se tient la veille du jour saint à la mosquée Okba, plusieurs manifestations culturelles se déroulent à cette occasion. La zaouïa de Sidi Sahab qui abrite la tombe de Abou Zamaa El Belaoui, un compagnon du Prophète, verra la tenue d'un concours national de chants liturgiques et psalmodie du Coran organisé par la Délégation régionale à la Culture. Une tradition vivace veut, qu'à travers le pays, les enfants nécessiteux ou orphelins soient circoncis à l'occasion du mouled. A Kairouan, au mausolée de Sidi Sahab, les enfants entrent en cortège dans la zaouïa. Au moment où la circoncision est pratiquée, il est de coutume de casser une grande jarre qui aura préalablement été remplie de fruits secs et de bonbons. Les enfants présents se précipitent dès que la jarre est brisée pour ramasser les friandises. Dans le temps, dès l'entrée du mois de Rabîî el aouel, qu'on désigne par l'expression « chahr el mouled » (le mois du mouled), les enfants des kottebs commençaient à réciter le panégyrique du Prophète. On récitait à haute voix d'enfant ces stances alors que les villes étaient illuminées et décorées. Des concerts de malouf avaient aussi lieu sur les places publiques qui étaient parées des plus beaux tapis et teintures. Les souks étaient également en émoi alors que les principales zaouïas réunissaient psalmodistes du Coran, chanteurs liturgiques et récitants de la Srida du Prophète qui veilleront jusqu'à l'aube. En pleine ferveur du mouled, la plupart de ces coutumes sont encore à l'ordre du jour et continuent à se transmettre comme des témoins invisibles qui unissent des générations de Tunisiens.