Le haut responsable de l'ONU préoccupé par les mesures prises au sein du système carcéral pour réduire les risques de recrutement et de radicalisation, mesures de séparation et d'isolement pouvant susciter des craintes de traitement inhumain et dégradant La stratégie nationale de lutte contre le terrorisme répond aux normes de l'ONU, elle doit être rendue publique et traduite en un plan d'action national concret et bien coordonné pour chaque ministère Au terme de sa visite en Tunisie, du 30 janvier au 3 février, dont l'objectif était de rendre compte des progrès réalisés par la Tunisie en matière de politique législative et de pratiques antiterroristes suivies au niveau de la détention, de l'arrestation et du jugement, le rapporteur spécial des Nations unies sur les droits de l'Homme et la lutte contre le terrorisme, Ben Emmerson, a donné, hier après-midi à Tunis, une conférence de presse dont l'accès a été strictement limité aux médias nationaux et étrangers. Il y a fait part d'observations, de préoccupations et de ses recommandations quant aux conditions de détention, la garde à vue prolongée, les ordonnances exécutives liberticides, l'assignation à résidence sans contrôle judiciaire approprié, traitement inhumain et torture, l'utilisation de la loi antiterrorisme, ainsi que d'autres actes de justice intentés contre des journalistes. En prélude, l'émissaire onusien n'a pas manqué de remercier le gouvernement tunisien pour la qualité de l'accueil qui lui a été réservé et tous les moyens d'aide et de coopération mis à sa disposition afin d'accomplir sa mission, dans la transparence requise. Ce qui a permis, dit-il, un dialogue franc et ouvert. L'engagement de la Tunisie à mener jusqu'au bout le combat antiterrorisme a été, également, mis en relief, d'autant que la stratégie nationale récemment adoptée dans ce domaine répond aux normes de l'ONU. Une stratégie, appelle le rapporteur spécial, qui devrait être rendue publique et traduite en un plan d'action nationale concret et bien coordonné pour chaque ministère. «Que chaque partie prenante ou organisme joue son rôle et respecte ses échéances, afin de contribuer à la prévention, la protection, aux poursuites et à la riposte, suivant une approche centrée sur la promotion des droits de l'Homme.. », enchaîne-t-il. Soit le suivi et l'application des quatre « P » fédérateurs composant la stratégie de lutte contre l'hydre terroriste. Et c'est de bonne guerre, compte tenu des défis sécuritaires liés, notamment, au retour des présumés terroristes tunisiens des zones de conflit. De sérieuses menaces dont M. Emmerson s'est, lui aussi, déclaré profondément conscient. Une vie carcérale critique Toutefois, ces résultats qualifiés de positifs n'ont pas empêché le rapporteur spécial de formuler certaines remarques négatives qui ont mis à nu une situation carcérale assez précaire. Au bout de cinq jours de séjour en Tunisie, l'envoyé spécial des Nations unies a fait le tour des pavillons de la prison de Mornaguia et des geôles de la police judiciaire de Gorjani. Le rapport de visite n'est pas concluant. «J'ai été informé que des enquêtes et des poursuites sont encore en cours contre plus de 1.500 personnes accusées d'actes terroristes dont moins de 10% seulement ont été condamnées. Les autres suspects continuent d'être privés de leur liberté pendant des périodes prolongées, sans avoir été reconnus coupables», indique-t-il. Et là, la situation critique dans laquelle le pôle judiciaire de lutte antiterroriste continue à travailler pose problème. Et pour cause. Le rapporteur spécial a recommandé d'accélérer les procédures judiciaires dans le traitement de ces dossiers. Cela requiert, d'après lui, que la tâche du pôle soit facilitée davantage, en le dotant de ressources humaines supplémentaires et en allégeant les complexités du système de la justice pénale. A la prison de Mornaguia, les conditions de détention dont il a été témoin demeurent bien inférieures aux normes internationales minimales : «Un taux d'occupation d'environ 150%, avec plus de 90 prisonniers entassés dans les dortoirs, avec l'insuffisance de l'espace, la lumière naturelle, le sommeil et les installations sanitaires...». Ces conditions, décrit-il, sont un fardeau intolérable au personnel pénitentiaire qui engendre une violation systématique des droits des détenus. De même, les prisonniers de toutes catégories ne sont pas épargnés. Et de préciser: «Ces conditions inacceptables affectent de façon disproportionnée les personnes accusées de terrorisme, parce qu'elles sont moins susceptibles d'être libérées provisoirement. Leurs dossiers prennent, parfois, des années pour être jugées, d'autant qu'elles sont la cible des peines les plus longues». A cet effet, le haut responsable de l'ONU s'est dit préoccupé par les mesures prises au sein du système carcéral pour réduire les risques de recrutement et de radicalisation. Selon lui, de telles mesures de séparation et d'isolement cellulaire peuvent susciter des craintes de traitement inhumain et dégradant. Au sujet d'éradication de la torture, il a demandé une vigilance accrue. Et de relever que les allégations de cas de torture et des mauvais traitements tels que signalés par les avocats et des acteurs de la société civile ne sont pas pris au sérieux par le gouvernement. Dans cet ordre d'idées, il recommande l'introduction de réformes visant à garantir la présence d'avocats dès la première heure de détention et non pas après 48 h, comme dans la législation actuelle, ainsi que l'installation de caméras vidéo dans les centres de détention et d'interrogatoire. Des pas franchis, mais... Il s'est, tout de même, félicité des pas franchis en ce qui concerne la création de l'Instance nationale de prévention de la torture (Inpt). Ce mécanisme, bien qu'il soit le premier à l'échelle arabe et africaine, continue à donner l'impression d'un goût d'inachevé. « Le gouvernement tunisien doit veiller à ce que l'Inpt soit entièrement financée par le budget de l'Etat pour mener à bien sa mission. Autant dire, on devra lui donner toute la liberté d'agir partout dans toutes les régions. Par ailleurs, l'expert de l'ONU s'est dit informé du fait que 150 personnes sont passibles d'une assignation à résidence et que de nombreuses autres restrictions leur sont imposées par le ministère de l'Intérieur, conformément à l'Etat d'urgence depuis novembre 2015 et en vertu de l'article 5 du décret 49 du 26 janvier 1978 y afférent. Par conséquent, il souhaite encourager la mise en place d'un contrôle judiciaire de ces ordonnances qui permettrait un juste équilibre entre les questions de sécurité et la primauté de la loi. Toutes ces recommandations ayant découlé d'une visite de cinq jours en Tunisie ne sont, en fait, que des conclusions préliminaires. Un rapport exhaustif sera présenté au Conseil des droits de l'Homme des Nations unies d'ici mars 2018. En conclusion, le rapporteur spécial a souligné que la Tunisie est devenue un phare d'espoir dans la région. « Ses efforts louables en matière de prévention de l'extrémisme violent et de lutte contre le terrorisme devraient être fondés sur la culture des droits de l'Homme et servir de modèle à suivre...».