Le président de la région Normandie effectue une visite en Tunisie. Accompagné d'une forte délégation d'élus locaux et d'hommes d'affaires français, Hervé Morin a rencontré le chef du gouvernement, Youssef Chahed, et des membres de l'exécutif dont Fadhel Abdelkéfi, ministre de la Coopération internationale. Avec la présidente de l'Utica, Wided Bouchamaoui, des accords de coopération ont été signés. Sur un autre registre, une cérémonie a été organisée avant-hier en l'honneur de neuf vétérans tunisiens qui avaient participé à la Seconde Guerre mondiale contre les nazis. Cérémonie à laquelle se sont invitées une diffuse charge émotionnelle et quelques évocations historiques. Le célèbre débarquement des Alliées de juin 1944 en Normandie était particulièrement à l'honneur. Dans ce cadre, M. Morin, exprimant son regret quant au faible engagement de l'Europe pour la Tunisie, accorde une interview au journal La Presse Dans quel cadre s'inscrit votre visite de plusieurs jours en Tunisie ? C'est la troisième fois que je viens en Tunisie en trois ou quatre ans. J'ai tellement la conviction que quelque chose d'essentiel se joue pour la démocratie, pour l'Europe, pour la stabilité du bassin méditerranéen, que j'ai souhaité en tant que président de région me rendre compte à quel point la transition démocratique en Tunisie est un succès. Il y a des difficultés, certes, mais c'est un succès indéniable. La Tunisie peut devenir l'exemple à suivre en Afrique, du moins dans l'Afrique du Nord. Pour les Européens, il y a le déploiement d'un enjeu stratégique pour bâtir un autre lien entre les deux rives de la Méditerranée. Et je regrette que les Européens soient insuffisamment actifs pour le redressement de l'économie tunisienne. Or, c'est là où se joue l'essentiel. Les Tunisiens peuvent s'inquiéter de leur niveau d'endettement. Mais, et il faut le dire, en volume cela ne représente pas énormément ; 20 à 25 milliards d'euros, ce n'est pas considérable à l'échelle européenne. Il faudrait peu de choses pour favoriser le décollage économique. Je regrette que les Européens ne soient pas obsédés par la réussite de la transition démocratique tunisienne. L'engagement de l'Europe est faible. Vous avez longuement évoqué la démobilisation de l'Europe envers la Tunisie, pouvez-vous nous en donner les raisons ? D'un autre côté, pensez-vous que la communication politique et économique de la Tunisie ne soit pas suffisante ou en tout cas pas suffisamment efficace ? D'abord, il faut dire que l'Europe se porte mal. Mais d'un autre côté, vous les Tunisiens, vous allez beaucoup à la rencontre des Européens. Mais je pense qu'il y a un moment particulier où on peut passer plus facilement des messages. C'est le cas, c'est bien venu du fait des échéances électorales. Les Européens ont beaucoup d'affection à l'égard des Tunisiens. Il n'y a donc pas énormément d'obstacles à franchir. Des promesses et des engagements ont été pris avec la Tunisie qui ne se sont pas traduits en actions concrètes, pour quelles raisons d'après vous ? Les promesses peuvent un jour être tenues, on peut l'espérer. Je pense qu'il y a un moment qui est assez propice. Vous avez un personnel politique d'excellent niveau. Le message est porté. Mais pour dire les choses, les Européens n'ont pas de volonté ni n'ont de politiques étrangères, parce qu'ils sont incapables de porter puissamment une cause, et parce qu'on a créé l'incapacité de l'Europe. On a mis en scène une Europe impuissante. Résultat, l'Europe est incapable de porter quelque chose d'essentiel et de fondamental pour les Européens eux-mêmes d'abord. Imaginons que la Tunisie s'effondre, demain combien de centaines de milliers de migrants supplémentaires les Européens auraient à gérer. Au moins que les Européens entendent ce message, s'ils n'ont pas envie d'entendre les autres. J'ai d'autres à porter de plus positifs. Vous êtes président de la région Normandie, des opérations de jumelage sont-elles prévues avec des villes tunisiennes ? Nous allons passer un accord de coopération avec le gouvernorat de Médenine. C'est la première approche, demain (hier ndlr), j'irai avec mon équipe sur place pour voir quels sont les meilleurs secteurs d'activité à cibler et démarches à prendre. Par ailleurs, j'ai rencontré la présidente de l'Utica pour traiter de trois domaines différents, la logistique, l'agro-alimentaire, le digital. Nous allons mettre en place des échanges avec des entreprises de Normandie et des entreprises tunisiennes. Les entreprises françaises pourraient ouvrir de nouveaux débouchés et des partenariats industriels, idem pour les entreprises tunisiennes avec la possibilité pour elles de monter en gamme. Partout dans le monde et pas seulement en France, les courants politiques extrêmes s'affirment, le centre ne semble plus avoir voix au chapitre, l'élection de Trump, le Brexit, quel est votre avis sur cela ? Il y a un repli nationaliste qui est dangereux et inquiétant, des digues ont sauté. La sortie des Anglais de l'Union européenne et l'élection de Donald Trump en témoignent. Mais on peut espérer que la France ne s'inscrira pas dans le même schéma. C'est un schéma qui n'est pas inexorable. Il y a certes des causes profondes qui expliquent la montée du nationalisme qu'il faut traiter. Une partie de nos compatriotes pense que demain sera pire qu'aujourd'hui. Ils pensent à tort que les causes de leurs difficultés sont liées à des boucs émissaires qu'on a inventés ; la mondialisation, l'étranger... A tout cela, il ne faut pas céder, il faut mettre en place un certain nombre de réformes pour retrouver confiance dans le progrès et dans l'avenir.