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«Il est temps que tout le monde se remette au travail pour créer de la richesse» Exclusif: Entretien avec Noureddine Taboubi, secrétaire général de l'UGTT
Noureddine Taboubi, le nouveau secrétaire général de l'Ugtt, parle à La Presse le langage de la vérité et de l'audace. «Oui, je mène une série de consultations avec les partis politiques et les organisationsde la société civile afin que le Document de Carthage ne soit pas rangé définitivement dans les tiroirs du palais de La Kasbah», tient-il à affirmer dans une interview accordée à notre journal. Noureddine Taboubi, qui se définit comme l'homme des dossiers, se dit déterminé à «imprimer (son) empreinte personnelle à l'action syndicale mais avec le soutien et l'assistance des syndicalistes qui ont déjà montré ce qu'ils valent réellement». Quelle est l'empreinte que vous envisagez de donner à l'Ugtt? S'agit-il de continuer l'action menée par votre prédécesseur Hassine Abassi ou imposer votre touche personnelle ? L'action menée au sein de l'Ugtt est une action institutionnalisée. Toutefois, le premier responsable a toujours son empreinte personnelle et son approche dans la gestion du groupe de travail qu'il dirige. Pour revenir au dialogue national, à titre d'exemple, je dirais que sa réussite n'a pas été l'œuvre d'une seule personne. Au sein de l'Ugtt, nous fonctionnons comme une ruche d'abeilles où chacun a une mission à accomplir dans le cadre d'une stratégie globale et à dimensions complémentaires sur les plans social et patriotique. Aujourd'hui, la position avancée qu'occupe l'Ugtt au sein du paysage politique et civil national nous condamne à réussir. Ma devise est très simple : fidélité à la Tunisie et loyauté aux idéaux de l'Ugtt. Il nous est impératif d'accumuler les acquis par la persévérance, la volonté et la mentalité d'avancer. Je suis considéré comme l'homme des dossiers et je crois aux résultats et à la manière avec laquelle ces résultats sont réalisés. Grâce au soutien de mes camarades au sein du bureau exécutif, nous concrétiserons les idées qu'on n'a pas réussi à mettre en œuvre au cours de la période précédente. Nous abordons une nouvelle étape qui commande de nouvelles structures, une nouvelle mentalité syndicale et de nouveaux acquis au niveau des institutions économiques relevant de l'Ugtt, l'essentiel étant de préserver et de renforcer l'indépendance de la Centrale ouvrière. Peut-on s'attendre à davantage de souplesse et de pragmatisme dans vos relations avec vos partenaires, en premier lieu le gouvernement ? Nous nous plaçons toujours à la gauche des hommes d'affaires et des entrepreneurs. Cependant, nous ne sommes pas l'opposition. Nous sommes une force de proposition. Et le responsable qui veut réussir est bien celui qui aide à trouver les solutions. Aujourd'hui, la Tunisie appelle au secours. La transition démocratique s'étire indéfiniment et les attentes nées à la faveur de la révolution sont très grandes. Mon souhait est que tout le monde revienne au travail pour créer de la richesse qu'il faut répartir avec le maximum d'équité. Mais, il faut bien créer cette richesse et la responsabilité n'est pas à assumer par une seule partie. Nous sommes tous responsables de la situation dans laquelle se trouve notre pays. Malheureusement, aujourd'hui, les bailleurs de fonds ont changé de regard à l'égard de notre pays parce que nous n'avons pas dépassé les tiraillements politiques et les luttes interminables qui ont fini par entacher la crédibilité de nos politiciens, plus particulièrement, auprès des jeunes qui n'ont plus confiance en notre classe politique. Il y a une mentalité sociétale qu'il faut restaurer, c'est celle de la culture de la modération, de la tolérance et surtout du sacrifice au service de la communauté nationale. Et si l'Etat de l'indépendance a réussi, c'est bien grâce à cette génération pionnière de responsables travaillant sous les ordres du leader Bourguiba et ayant pour devise l'intérêt national et rien que l'intérêt national. De nos jours, la crise que nous vivons est une crise politique et morale par excellence. Nous avons un gouvernement qui navigue à vue où chaque ministre donne l'impression qu'il est là pour servir l'agenda de son propre parti. Quel rôle devrait assumer l'Ugtt face à cette guerre de leadership n'ayant aucun lien avec l'intérêt général et surtout avec les objectifs sur lesquels ont convenu les signataires du Document de Carthage ? Nous nous posons la question quotidiennement. Nous ne sommes pas un parti politique mais nous pratiquons la politique dans sa dimension sociale. Pour nous et ce n'est pas nouveau dans les traditions de l'Ugtt, qui a toujours fait montre d'une présence spécifique dans le processus civilisationnel de la Tunisie, le sacrifice et le patriotisme sont, d'abord et avant tout, une mentalité et un comportement. Il existe beaucoup d'issues pour surmonter la crise dont l'instauration de la justice fiscale, la lutte effective contre la corruption et surtout le dévoilement de toutes les réalités telles qu'elles sont au peuple. Mais, avant tout, il faut retourner au travail pour pouvoir créer cette richesse (1% de taux de croissance en 2016) qui risque de s'évaporer définitivement au cas où notre classe politique poursuivrait sa fuite en avant. En tout état de cause, l'Ugtt restera la voix des ignorés du processus de développement et nos cadres et militants ont suffisamment de maturité pour éviter au pays de tomber dans le chaos. Nous l'avons fait à l'époque du Dialogue national et nous sommes prêts à refaire l'expérience, le cas échéant. Peut-on considérer que la crise née à la suite de la révocation de Abid Briki a vécu à la suite de la décision de Youssef Chahed de supprimer le ministère de la Fonction publique et de la Gouvernance rattaché désormais à la présidence du gouvernement ? Ecoutez, notre désaccord avec Youssef Chahed n'a aucun lien avec la révocation de Abid Briki. Nous considérons que Youssef Chahed et Abid Briki ont agi, tous les deux, avec précipitation. Notre conflit avec le gouvernement revêt plusieurs dimensions dont la plus importante est la crédibilité et si cette crédibilité est remise en cause, on ne peut plus travailler ensemble. Dans notre conception, l'Ugtt est un partenaire effectif dans l'élaboration des contenus et des choix de développement. C'est ce que comporte le Document de Carthage. Et s'il existe un problème, il est du droit de tous les signataires du Document de participer à la recherche de la solution idoine. Nous ne sommes pas contre l'Utica ou contre la désignation de Khalil Ghariani. Notre seul grief concerne la précipitation qui a marqué la prise de la décision. Beaucoup de politiciens appellent au retour du Dialogue national. Qu'en pensez-vous ? La culture du dialogue est très importante, sauf que le dialogue a ses conditions et ses règles. Aujourd'hui, s'il y a un dialogue prioritaire, c'est bien celui sur les urgences économiques et le terrorisme. Nous avons besoin d'instances constitutionnelles qui exercent réellement leurs fonctions et prennent des décisions que tout le monde accepte. Le dialogue auquel certains appellent est le bienvenu à condition qu'il n'ait pas pour objectif de sauver le gouvernement actuel qui ne fait qu'accumuler les erreurs. Nous avons besoin de beaucoup de sérieux et de franchise. Le dialogue reste le meilleur moyen qui puisse nous permettre de surmonter nos crises mais à condition qu'il n'obéisse pas à des calculs politiques connus. Quel épilogue pour la crise opposant le ministre de l'Education aux enseignants du secondaire et aux instituteurs, surtout que l'association des parents d'élèves vient de demander au gouvernement d'intervenir ? Avec ses déclarations répétées, le ministre de l'Education ne fait qu'accentuer la crise de confiance qui l'oppose aux éducateurs. Ses incitations adressées aux parents d'élèves à l'encontre des éducateurs ont produit leur effet escompté dans la mesure où le secrétaire général du Syndicat général de l'enseignement secondaire, Lassaâd Yaâcoubi, vient de recevoir une lettre de menace d'assassinat. Le comportement du ministre de l'Education est inacceptable. Nous considérons que l'affaire ne peut être résolue qu'au niveau de la présidence du gouvernement. Pour ce qui est du soutien du bureau exécutif aux syndicalistes de l'enseignement, je tiens à préciser que selon le statut de l'Ugtt et selon son règlement intérieur, je suis dans l'obligation de cautionner tous les contenus issus des structures de l'Ugtt. Ce qui veut dire que vous confirmez votre appel à la révocation de Néji Jalloul ? J'applique les décisions que prennent les structures de l'Ugtt. Vous avez boycotté les travaux des commissions chargées d'élaborer la réforme du système éducatif alors que le ministère assure que la porte vous est toujours ouverte. Nous avons boycotté la réforme pour la simple raison qu'elle n'est pas une réforme en profondeur et ne propose pas de contenus de qualité à même de prémunir notre jeunesse contre toutes les formes de déviation et aussi d'assurer l'équilibre entre les exigences du marché du travail et l'enseignement dispensé à nos jeunes. Nous sommes convaincus que l'école est en effritement. Aujourd'hui, l'abandon scolaire est en augmentation continue, les stupéfiants sont vendus devant l'école et en son sein, les enseignants sont l'objet d'une violence sans précédent et l'éducateur a perdu sa valeur sociétale. La réforme du système éducatif est un processus de participation effective et non une opération d'apparat médiatique. D'ailleurs, nous ne sommes pas les seuls à avoir gelé notre participation aux commissions chargées de la réforme puisque l'Institut arabe des droits de l'Homme, le 3e partenaire de la réforme, a lui aussi décidé de se retirer de ce que Néji Jalloul est en train de commercialiser comme étant la réforme éducative. Qu'est-ce qu'on peut attendre du retour des négociations salariales dans le secteur privé ? Tout ce que je peux dire pour le moment, c'est qu'il existe une réelle volonté de la part de l'Ugtt et de l'Utica de parvenir à un accord dans un avenir très proche. Les négociations sont en cours et on ne peut pas anticiper sur les résultats définitifs. Vous êtes en train de mener une série de rencontres avec les représentants des partis politiques et des organisations et associations de la société civile. D'aucuns vous reprochent d'avoir déjà entamé un dialogue national avant la lettre. Je tiens à préciser que ces rencontres sont à l'initiative de l'Ugtt qui veut approfondir le dialogue sur le Document de Carthage et qui cherche aussi à ce que ce pacte soit dynamisé. Partant de ma conviction que l'Ugtt est bien la tente qui rassemble tout le monde comme toujours, j'ai invité les signataires du Document à un dialogue ouvert sur la crise et nous avons exigé une rencontre-débat avec le chef du gouvernement. La rencontre se tiendra dans les prochains jours. D'autre part, la maison de l'Ugtt abritera le 23 mars une rencontrera avec les ambassadeurs de l'Union européenne accrédités à Tunis. Quant à ceux qui disent que je suis en train de tenir un dialogue parallèle, je leur réplique : que ceux qui ont renié le Document de Carthage le déclarent à voix haute. Avez-vous le sentiment que le Document de Carthage est rélégué dans les tiroirs du palais de La Kasbah ? Nous l'avons dit clairement et nous le répétons : la crise actuelle constitue un début de reniement du Document ce Carthage. Toutefois, nous réaffirmons notre attachement à ce Document à condition que ses contenus soient concrétisés dans le cadre d'un partenariat réel et effectif. Il faut aussi que le gouvernement respecte les engagements qui m'ont été exprimés lors de ma dernière rencontre avec Youssef Chahed. Je tiens à souligner que je suis convaincu que nous sommes en mesure de surmonter la crise actuelle en définissant nos choix sur la base de nos possibilités.