Faut-il suspendre le championnat de football, devenu un facteur nourrissant le régionalisme et la violence sordide ? Le dernier classico de Sfax apporte de solides arguments aux défenseurs de cette thèse Le foot perd les pédales. Certes, il lui arrive régulièrement de déraper, mais cette fois-ci, le classico CSS-ESS lui fournit l'occasion de devenir un gros sujet de préoccupation et la risée de l'opinion publique qui aime tourner en dérision les sujets les plus graves venant d'un sport dont elle a fait son deuil depuis belle lurette. Ce n'est plus une révélation que de dire que le sport-roi creuse désormais le lit du régionalisme, qu'il développe la division, le chauvinisme et la haine, et sert d'alibi aux manifestations les plus violentes chez les jeunes. C'en est fini du spectacle, frais et innocent qui transporte de joie, de plaisir et de ferveur le bon peuple du football. Mercredi dernier, la télévision a donné à voir la face hideuse du sport au cours de l'émission la plus suivie, «Mercredi Sport», sur Al Watanya 1. Les images choquantes de dirigeants étoilés refoulés aux portes du stade M'hiri et d'une rencontre repoussée d'une heure, le récit donné en direct par le président du Club Sportif Sfaxien, Moncef Khemakhem, qui dépasse tout entendement, et la guerre des cent ans qui oppose aujourd'hui le CSS et l'ESS relèvent de l'absurde. Quelque chose de surréaliste. On croit rêver ! Il n'y a rien à faire : la rivalité, malsaine, a commencé par de petites batailles rangées, ponctuant il y a quelques années les rencontres entre les jeunes catégories des deux clubs. La contagion a été par la suite transmise aux rencontres de volley-ball. Avant de remonter aux sources des confrontations les plus suivies et les plus médiatisées, celles des seniors de football, les fameux classicos qui en sont actuellement à remonter deux régions l'une contre l'autre. Deux régions voisines parmi les plus dynamiques du pays, aussi bien politiquement qu'économiquement. La parfaite consécration de la résurgence du tribalisme. L'unité nationale dépecée par la voie du sport. Cela n'a pas, du reste, l'air de se tasser, d'autant plus qu'aucun intervenant n'a jusque-là appelé à faire triompher la voie de la sagesse, à la détente, à la désescalade, le genre de rôle revenant au ministère de tutelle, à la fédération, à l'amicale des présidents des clubs «pros»... Le dossier renvoyé devant le BF Pourtant, la fédération ne veut pas déroger à la règle de ses procédures habituelles, quelle que soit la gravité de cette affaire : «Le championnat est du ressort de la Ligue nationale de football professionnel, rappelle le porte-parole de la FTF, Amine Mougou. Le cheminement des suites à donner à ce dossier est parfaitement connu et on ne va pas se laisser influencer ou réagir uniquement à partir de ce qui a été dit à la télévision. Nous statuons à partir des rapports de l'arbitre, du commissaire, des services sécuritaires... La FTF se saisit du dossier dans son intégralité et non des seuls éléments apportés par la télévision. Réunie jeudi, la Ligue a renvoyé le dossier devant le bureau fédéral. Nous allons nous réunir la semaine prochaine pour l'examiner et prendre les mesures adéquates», confie à La Presse le porte-parole de la FTF et président de la commission fédérale des compétitions. Après la corrida, l'heure des plaintes. L'arbitre assistant Makram Essafi veut poursuivre le président du CSS devant les tribunaux pour ses déclarations jugées humiliantes à son endroit. Le porte-parole du club-phare du Sud, Mohamed Jelaïel, poursuit devant la justice le joueur de l'Etoile Sportive du Sahel, Ghazi Abderrazak. «A la fin de la rencontre, sur le chemin des vestiaires, ce joueur m'a agressé à coups de crampons au niveau de la jambe, lorsque je lui ai reproché ses insultes envers notre club et les citoyens de Sfax», soutient le dirigeant «noir et blanc». Brassard rouge De son côté, la municipalité de Sfax a déposé une plainte contre les joueurs de l'Etoile du Sahel qu'elle accuse d'avoir occasionné des dégâts aux vestiaires du stade Mhiri de Sfax. Last but not least, l'Association tunisienne des arbitres de football réagit à ce qu'elle appelle «une humiliation» essuyée par un de ses protégés, l'arbitre assistant Makram Essafi, en appelant tous les referees des Ligues 1 et 2 à porter le brassard rouge, aujourd'hui, à travers les stades de la République. «La situation de l'arbitrage tunisien est très grave et menace à tout moment une déflagration, avoue le porte-parole de l'Association, Amine Barkallah. Ce qui s'est passé mercredi dernier à Sfax n'est, en réalité, qu'un petit exemple de ce qu'endure chaque dimanche le corps arbitral qui est devenu par la force des choses le maillon faible du football tunisien. Ce qui s'est passé à Sfax relève d'une humiliation sans précédent subie par un de nos protégés. Toutefois, le ver est dans le fruit. Partout, en L2, en L3 et dans les divisions inférieures, les hommes en noir souffrent le martyre. Ils sont même menacés dans leur intégrité physique, à l'instar de ce qui est arrivé aux frères Walid et Faouzi Jeridi sur la pelouse de Msaken, sans que la direction nationale d'arbitrage ou le bureau fédéral ne réagisse. C'est d'un sentiment de protection qu'a le plus besoin le corps arbitral», insiste Amine Barkallah. Le brassard rouge, aujourd'hui, résout-il le problème? Il y a fort à croire que les referees ne sont pas vraiment au bout de leurs peines, et que le foot malade de ses dirigeants avant tout n'est pas sur la voie de la rédemption. Il a besoin de mesures draconiennes, fermes et de nature à arrêter sa descente aux enfers. Une longue agonie.