Par Samira DAMI Dans sa nouvelle création théâtrale «Hourya», Leïla Toubel use, avec force, des mots, de son corps, de sa voix et de la musique, concoctée et jouée par Mehdi Trabelsi, pour nous raconter, avec une énergie et une générosité sans pareilles, la barbarie et la déshumanisation d'un monde ravagé par le radicalisme, la violence et le terrorisme. Avec les mots, la comédienne relate, joue et exprime l'histoire d'un amour impossible entre Hourya et Adem. Personnage central, Hourya incarne la vie, l'amour, la liberté, la beauté, la jeunesse, la paix, mais il nous renvoie également à ces personnages célestes que sont les «Houris», ces «Vierges du Paradis» tant convoitées par les terroristes, semeurs de mort et tueurs d'innocents. La mort rôde sur scène entre le bombardement de la radio de «La Paix», la tragédie que vit Hourya «parée» de sa robe noire, la douleur et le désenchantement d'Adem, l'atmosphère clair-obscur parfois rendue par les lumières, la mélancolie de la musique. Mais la mort se manifeste à travers la force et la pertinence des mots : «Lapidez-moi, ainsi vous lapiderez toutes les femmes insolentes en moi... Lapidez en moi la beauté et la lumière. Lapidez en moi toutes les houris... Lapidez-moi... Même morte je vivrai d'amour et de paix», crie Hourya aux bêtes immondes qui l'ont violée, puis «crucifiée». Ainsi dans les pièces de Leïla Toubal, les mots explosent comme des bombes pour exprimer nos maux ainsi que ceux du monde. Ils nous sont jetés en pleine face pour nous interpeller et nous ébranler, mais aussi pour nous toucher, nous émouvoir et nous faire rire, même. Les mots en dialecte s'écoulent pertinents, expressifs, tantôt «fléchés», tantôt lyriques, tantôt poétiques. Et c'est là l'univers et la singularité des textes de Leïla Toubel. Son théâtre est affectif avant d'être intellectuel, il s'adresse surtout à l'émotion. Une émotion à fleur de mots même quand il s'agit de créer des slogans du genre : «Je suis Le Bardo, je suis Berlin, je suis Kaboul, ...». Leïla Toubel use de son corps et de sa voix pour conter, relater, incarner, jouer et s'éclater sur scène mais aussi pour retenir l'attention du public et le séduire. La maîtrise du texte, la justesse du ton de la voix et des déplacements, malgré l'encombrement de la scène par le piano, nous communiquent, grâce également au «jeu d'âme» de la comédienne, son souci de la barbarie et de la dégénérescence humaine. La musique qui sous-tend l'ensemble de ce spectacle du genre musico-théâtral, coécrit, mis en scène et interprété par Leïla Toubel et Mehdi Trabelsi, «nous pend aux maux» en harmonie avec le texte. Que de sentiments elle décline ! Fébrilité, colère, passion, mélancolie... Le texte, le corps, la voix et la musique réunies sont les instruments de cette cantique dédiée, malgré la grisaille, à la femme, à l'amour, à la liberté et à la paix.