Par Samira DAMI La comédienne apparaît sur scène dans une robe de mariée d'une blancheur immaculée. Une tache sombre cependant, de longues mitaines noires couvrent ses avant-bras. Le ton est donné, tout au long de «Solwen», le monodrame écrit, joué et mis en scène par Leïla Toubel, la vie, dans toute son expression et son rituel, se déclinera en noir et blanc. Entre pessimisme et optimisme, tristesse et jubilation, tragédie et comédie, désespoir et espoir. Dans cette pièce, dont le cycle de représentations se poursuit sur la scène de Mad'Art à Carthage, Leïla Toubel narre, exprime et interprète une tranche de vie, celle d'un personnage féminin dont le passé et le présent se confondent avec ceux de la patrie. Cette femme amnésique, sans nom ni prénom, porte en elle, à l'image du pays, un choc et une blessure profonde qu'elle désire oublier en ingurgitant de grandes gorgées du breuvage de l'oubli (Solwen). Echo du pays, ce personnage traîne une identité et une mémoire brouillées et perturbées par une série d'événements dramatiques, aussi bien de l'ordre de l'intime —la petite histoire—, que du politique —la grande histoire—. Perdu dans ses cauchemars et ses hallucinations, ce personnage semble comme le prolongement du vécu de l'auteure et de la comédienne. Il s'est construit au fil des semaines, des mois et des années qui ont suivi la révolution. Leïla Toubel, ne l'oublions pas, est devenue une icône du militantisme et de la résistance contre tout projet rétrogade qui menace le modèle tunisien et ses valeurs modernistes. Son personnage en crise exprime, dans une sorte de dédoublement, la déprime et la détresse d'un pays mais aussi l'amour profond qu'elle lui porte. Ne l'a-t-on pas vu dans plusieurs manifestations drapée dans le drapeau national rouge et blanc? Or, justement le rouge sang est une couleur présente dans Solwen car après avoir oté sa robe de mariée blanche, la femme enfilera une autre longue robe rouge sang. Symbole de vie mais aussi d'épouvante et de mort, le rouge sang marque à la fois le désespoir et l'espoir, la violence et la passion. Solwen raconte la vie, l'amour, la mort à travers un moment de solitude intense d'une femme qui se retrouve seule face à son propre destin, mais aussi face au destin de son pays. Ce personnage fantasque, comme dans une psychothérapie, livre ses secrets, se plaint, proteste, conteste, crie, appelle le public à observer une minute de silence à la mémoire des martyrs de la révolution, mais l'appelle aussi à rêver même en noir et blanc. Le texte est porté par la voix mais aussi par le corps qui se manifeste dans tous ses états — façon Pina Bauch dans le style danse-théâtre. Le corps de cette femme, en plein délire, est maltraité, frustré, désiré, sublimé... Il se révèle en même temps que l'âme du personnage dans une sorte de libération totale du poids des interdits et des non-dits pour crier dans une apothéose finale, ruisselante de poésie, son attachement et son amour pour la patrie. Malgré les fragments de discours directs, malgré l'absence d'un regard extérieur au niveau de la mise en scène qui aurait, peut-être, permis à la pièce de gagner encore davantage en intensité, on sort troublé et ému de Solwen. Cela grâce à des moments poignants où tout converge, le texte expressif, le jeu sensuel (Leïla Toubel est très belle sur scène), la musique touchante, les lumières estompées, pour générer une atmosphère captivante et poignante porteuse de sens et de créativité artistique.