«Mon aventure allemande de deux saisons m'a rendu meilleur», avoue Ahmed Hammami, le défenseur central de l'Espérance Sportive de Tunis, qui a composé avec Hamadi Touati, puis Ridha Akacha une solide charnière centrale. «Cela m'a énormément servi pour la suite de ma carrière», ajoute-t-il. Récit. «En 1965-66, j'étais parti sur un coup de tête en Allemagne signer pour Sportfreunde Siegen, un petit club de la Regionalliga West (l'équivalent d'une D2) qui représente une ville qui me colle à la peau. J'ai été le premier Maghrébin à porter les couleurs de ce club. J'ai été par là-même le premier joueur de l'Espérance Sportive de Tunis qui bénéficie d'une autorisation de sortie afin de jouer à l'étranger, et c'est la mémoire vivante du club, Si Ameur Bahri, qui me l'avait confirmé. Autrement, sans cette lettre de sortie, je devais passer deux ans sans jouer avant d'être qualifié pour mon nouveau club, et ce, en vertu des règlements de l'époque. En plus d'une blessure au genou gauche, une grosse déception amoureuse m'a décidé à aller changer d'air. La jeune fille que j'ai aimée a été pour beaucoup dans mon envie d'évasion, ma recherche du large. J'ai écrit à un ami installé là-bas pour lui dire que je voulais changer d'air. Il s'agit d'Abdellatif Slouma, un Clubiste. En débarquant dans le plus grand dépaysement que l'on peut imaginer, puisque je n'avais jamais parlé jusque-là un seul mot allemand, les journaux régionaux écrivent: «Un autre Pelé arrive à Siegen !». Sans doute en référence à la couleur de ma peau. La première nuit, je la passe chez le capitaine d'équipe, Albert Kuehn, qui me réserve un accueil chaleureux. Lui et sa femme, ils me cèdent leur chambre pour aller passer la nuit au salon. Le président du club, Dr Unrein, m'enrôle dans une caisse d'épargne où je dois contrôler les comptes en mouvement, puisque, avant de partir, j'ai travaillé dans deux banques. C'est le Pr Hermann qui m'a enseigné la langue allemande. Au bout d'un an, je parlais couramment cette langue. J'ai porté deux ans les couleurs «rouge et blanc» de Siegen. Il me fallait prendre le relais de mon père selon la tradition sudiste, puisque je descends de Kebili. Mon père était cuistot au Tunisia Palace. Je suis revenu en Tunisie en 1969, juste après la finale de la coupe CA-EST (2-0). Mon père est décédé en 1970, et je devais donc prendre en charge ma famille. Mon nom allait coller à la polémique de la finale de la coupe de Tunisie EST-CSS (0-1) de 1971. En effet, mon club tenait à disputer le match en retard du championnat contre l'Union Sportive Tunisienne afin que je puisse purger mon match de suspension. Abdelkader Ben Sayel alias Gaddour était dans la même situation. Mais les autorités ont tenu bon afin que la finale se joue bien avant. «La culture allemande m'a fortement influencé» A mon retour, je me suis senti «bonifié», avec davantage d'aura et de sagesse. Ma petite expérience allemande m'a appris énormément de choses sur le sens de la vie, le monde extérieur. Je dois avouer que, jusqu'à aujourd'hui, j'ai été fortement influencé par la culture allemande. J'étais parti à Siegen capitaine d'équipe et je reviens capitaine, donnant constamment le meilleur de moi-même. J'ai vu le jour au quartier des Mtaouas, la loyauté et la dignité constituent une qualité naturelle chez nous. J'ai eu la chance de jouer entre 1965 et 1972 pour un club avant-gardiste, l'Espérance Sportive de Tunis. Déjà, dès 1967, nous partions à Sfax en avion. Nous prenions des repas sportifs. Nos stages, on les passait à Korbous où un kiné nous faisait bénéficier des bienfaits des eaux thermales d'Aïn Oktor. J'ai été adopté par notre président Ali Zouaoui. Les dirigeants de l'époque dépensaient de leur argent pour améliorer le quotidien de leurs joueurs. Aujourd'hui, je suis un homme heureux, mais, au fond, je n'aime pas le foot. Je lui préfère le volley-ball que j'ai pratiqué au bord de la plage».