Les jeunes doivent immanquablement être considérés comme étant des talents à dénicher et à promouvoir. Seuls, ils ne le sauront peut-être jamais... Il est 14h30 en ce vendredi 24 mars 2017. Le terrain de sport relevant de la maison des jeunes de Ras Tabia est occupé par quelques ados qui jonglent avec le ballon. En ce temps printanier, tout comme au mauvais temps d'ailleurs, cet établissement d'encadrement, de divertissement et de culture destinés aux jeunes âgés de plus de 13 ans accueille, chaque week-end et même durant les vacances et les jours fériés, autant d'adhérents que de curieux. Implanté au cœur d'un quartier populaire, ce qui est le cas pour la plupart des maisons des jeunes, cet espace séduit la population-cible par un esprit autre que celui conservateur et autoritaire. Là, les jeunes découvrent un aspect nouveau de la vie communautaire. Ils tâtonnent des centres d'intérêts divers, lesquels convergent, tous, vers la sociabilité, la responsabilisation et l'encouragement des jeunes talents à aller de l'avant et à l'auto-affirmation. Et voilà qu'ils y affluent, n'ayant d'autres motifs que de s'amuser et de découvrir de nouveaux horizons. Finalement, ils se découvrent eux-mêmes. Dans cette maison des jeunes, sept clubs sont mis à la disposition des adhérents. Il est permis à chaque jeune de faire partie d'un ou de plusieurs clubs à la fois. Il suffit de savoir sur quel pied danser et de déterminer les activités de prédilection, notamment le théâtre, la peinture, la danse, l'aérobic, le journalisme, la radio ou la musique. Sept domaines artistiques et sportifs qui absorbent autant de filles que de garçons provenant aussi bien des quartiers riverains que d'autres populaires. Hadir Riahi a 17 ans. Elle fréquente l'établissement depuis deux ans. C'est là qu'elle passe le plus clair de son temps libre. «Le facteur de proximité a joué un rôle déterminant dans mon adhésion à la maison des jeunes, et plus particulièrement, aux clubs de musique et d'aérobic. Sinon, je n'aurais jamais eu le courage de me déplacer pour accéder à des espaces similaires», avoue-t-elle. Au bout de deux ans, cette adolescente a réussi à développer son côté relationnel en nouant des amitiés motivantes, avec lesquelles elle partage hobbies et perception de la vie. «Mon temps libre n'est plus du temps perdu» Comme Hadir, Nizar Sahli fréquente le club de musique depuis plus de trois ans. Doté d'un background musical acquis au conservatoire, il a choisi de l'enrichir davantage, en compagnie d'un groupe de jeunes tout aussi passionnés que lui. Depuis, son rythme de vie a changé pour le mieux, au regard rassuré de ses parents. «Avant, je passais mon temps libre à siroter des cafés... Du temps gâché qui intriguait mes parents. Mais depuis que je fréquente le club, ils sont rassurés et n'hésitent plus à me donner de l'argent de poche. Ils savent pertinemment que mon temps libre n'est plus du temps perdu», indique-t-il, souriant. Néanmoins, il ne rate pas l'occasion pour mettre le doigt sur des hics à combler, dont le manque d'instruments utilisables : l'orgue et les violons étant endommagés et en besoin d'entretien. L'animateur : un psy, un confident, un coach de vie Ces ados se réjouissent du bon temps passé au sein d'une communauté jeune et accueillante. C'est ainsi qu'ils échappent à la monotonie et pimentent leur quotidien. Cependant, l'acquis ne se limite point aux seuls loisirs. Le relationnel-communicationnel, ce maillon souvent manquant dans la relation entre les générations, s'avère enfin être décroché au fur et à mesure que la confiance est gagnée. Mme Rihab Saïdi, animatrice du club de musique, veille sur l'encadrement d'un groupe d'une vingtaine d'éléments. La plupart d'entre eux sont assez rodés et ne cherchent pas à apprendre le solfège. Ils viennent, plutôt, pour bénéficier d'un encadrement musical, d'un consulting personnel et pour avoir droit à une oreille attentive, salutaire, digne de confiance. «Ma mission consiste, en outre, à veiller sur l'évaluation de l'évolution de chaque membre du groupe ; l'évolution d'un musicien en herbe, mais aussi d'un jeune en perpétuel développement physique, psychologique et comportementale. Aussi, dois-je tout savoir sur leurs vies respectives, sur leurs problèmes, sur leurs aspirations. Une animatrice de jeunes est aussi une psychologue, un coach de vie. De ce fait, j'estime que j'ai réussi à gagner leur confiance, chose qui m'habilite à les protéger contre toute sorte de nuisance sociale dont la délinquance», indique-t-elle, ravie. Défier la société ! Plus qu'un coaching de vie, certains jeunes sont à la quête d'un regard appréciateur, à même de contrecarrer le regard hostile d'une société intolérante. Abdelsalem Mohsen et Hamza Faddaoui sont, tous les deux, issus de la Cité Ettadhamen. Ayant le rythme dans les veines, ils ont choisi de défier la société inamicale et imposer leur manière de voir la vie ; une vie dynamique malgré le manque de moyens et d'encouragements, une vie gaie malgré un avenir flou, une vie de jeunes qui ne sont pas près de devenir sitôt aigris. Une tenue de branché, un bandeau blanc serrant le front, le regard pétillant, Abdessalem ponctue sa journée en pointant le nez dans plusieurs espaces pour jeunes, dont la maison des jeunes de Ras Tabia ou encore celle de la Cité El Jomhouriya. En cet après-midi, il s'applique ainsi que les autres membres du club de danse, à la réalisation d'une chorégraphie laquelle sera présentée, prochainement, dans le cadre du Festival régional de Carthage. L'histoire choisie pour cette chorégraphie traduira la transition — non pas démocratique — mais celle de la tristesse, de la crise, de l'angoisse et de la terreur au bonheur. Ce jeune, malgré son optimisme inné, ne cache pas l'amertume qui le ronge. Faute d'une politique engagée dans l'encouragement matériel et moral des jeunes talents, bon nombre de jeunes artistes demeurent boudés, marginalisés, voire livrés à leur propre sort. «Je fais partie d'un groupe de onze jeunes issus de la cité Ettadhamen pour qui la danse est l'unique refuge. D'ailleurs, nous avons toujours envahi l'espace public par l'art de la danse et par la musique hip hop, et ce, en dépit du regard désapprobateur des badauds. Nous avons converti autant de gares en des scènes de spectacles improvisés. Grâce à notre persévérance, nous avons réussi à organiser le spectacle Manifesto à l'avenue Bourguiba. Nous avons également été sollicités pour un spectacle concocté par l'Institut français. Cela dit, poursuit-il, nous restons en manque d'encouragement. La ministre de la Jeunesse et des Sports ne dote pas la jeunesse de l'intérêt et de l'appui qu'elle mérite». Abdessalem continue de danser, savourant chaque mouvement, chaque harmonie mariant son corps au rythme. Il se réjouit d'ailleurs de pouvoir influer sur sa sœur qui découvre avec lui et par lui le hip hop. Ce jeune oriente les plus jeunes vers cet art qui leur permet de se défouler tout en accédant à la paix intérieure. Quant à Hamza, 24 ans, il continue à défier son entourage familial pour qui, la danse n'est bonne à rien. «Je suis le cadet de trois enfants. Mon frère et ma sœur travaillent et gagnent leurs vies d'une manière tout à fait conventionnelle. Moi, je vois mon avenir autrement. Cela fait cinq ans que je danse. Et c'est ce que j'aime le plus au monde. Mais la danse ne rapporte pas de l'argent. J'ai donc choisi de m'investir dans un domaine qui me permet de rester égal à moi-même. Je suis une formation en animation touristique, question de joindre l'utile à l'agréable», souligne-t-il. Pour ce jeune, la danse constitue le meilleur antistress au monde. C'est un garde-fou qui le maintient loin de toute nuisance sociale, des cafés, de la mauvaise fréquentation, de la délinquance. «La danse me garde jeune et libère mon corps de toutes les toxines. Autant de bienfaits qui me permettent de résister aux idées négatives. Pour mes parents, un homme ne doit pas danser. Pour moi, ainsi que pour mes amis, oui !», indique-t-il, déterminé. Ce qui est merveilleux dans les maisons des jeunes, c'est cette capacité dont font preuve les animateurs à fidéliser des ados, des jeunes, mais aussi des moins jeunes. Dans le club de peinture qu'anime Mme Raouia Bouraoui, des dames affluent, désireuses d'apprendre l'art de manier le pinceau. Ce qui pousse l'animatrice à répartir le groupe en sous-groupes, conformément au critère de l'âge. «Toutes les dames aspirent à perfectionner leur création et à devenir des pros. Toutefois, les jeunes ne sont pas tous appliqués. Certains gravitent les échelons de l'excellence, dont un jeune âgé de 16 ans, qui, au bout de trois ans, est devenu le leader du club, un véritable plasticien professionnel», indique-t-elle, fière. Manifestement, il n'y a pas d'âge pour être jeune et pour découvrir en soi des talents refoulés. Les jeunes, en revanche, doivent immanquablement être considérés comme étant des talents à dénicher et à promouvoir. Seuls, ils ne le sauront peut-être jamais...