La dernière session de la foire internationale du livre de Tunis a, me semble-t-il, fait oublier le relatif échec de la session précédente. Lors de la 33e édition de la foire du livre, j'ai côtoyé quelques-unes des plus belles figures de l'intelligentsia francophone et je me suis «approvisionné» de bouquins pour le restant de l'année. Sur le conseil d'un ami, j'ai acheté un essai de Daniel Pennac intitulé : «Comme un roman», paru en 1992 et réédité plusieurs fois. Un livre que je vous conseille absolument ! «Le verbe lire ne supporte pas l'impératif», écrit d'emblée Pennac. La question, pour le coup, reste entière — et gravissime : comment redonner le goût de lire ? Ce qui pourrait se formuler autrement : comment retrouver l'exercice de la liberté? L'auteur de «La fée Carabine» ou de «La Petite Marchande de prose» n'était évidemment pas le plus mal placé pour répondre. D'abord parce qu'il connaît mieux que d'autres le secret des séductions littéraires, pour preuve, le succès mérité de ses bouquins polaro-funambulesques. Ensuite parce que, depuis un nombre respectable d'années, il enseigne le français dans une école privée qui ne recrute pas systématiquement ses élèves parmi les surdoués de leurs générations... Mais, qu'il n'y ait aucune méprise : son essai, qui se lit «comme un roman», n'offre rien de sévèrement philosophique, mélancolique ou pamphlétaire face à la débâcle pédagogique que nous connaissons et à l'irruption des générations sans mémoire. Avec une sorte de désinvolture attentive, de sagesse chaleureuse ou d'enthousiasme rieur, Daniel Pennac s'efforce de renouer le pacte d'amour entre le lecteur et le livre. A l'injonction : il faut lire, il préfère le conseil : il faut donner à lire. Et ce don est gratuit, comme pour prolonger ce temps béni où l'enfant écoutait chaque soir une histoire avant de s'endormir, ou s'épanouissait encore cette sainte trinité : lui, le récit et nous. Pourquoi, se demande-t-il, ce goût de la lecture ne passait-il pas d'abord par le simple bonheur de lire que le professeur partagerait avec ses élèves, sans rien exiger en échange? Et d'évoquer — entre autres — l'exemple de Geaorges Perros, qui commençait par lire à voix haute les romans ou poèmes qu'il aimait à ses étudiants de Rennes. Le reste, à savoir la réflexion, la critique, l'étude, allait venir tout naturellement, mais plus tard. A l'heure où chaque minorité revendique farouchement ses droits, Pennac propose malicieusement, lui, une charte au lecteur: le droit inaliénable de sauter des pages, de lire n'importe quoi, de relire, de ne pas finir un livre, et d'abord le droit de ne pas lire, tout simplement, faute de quoi, il ne s'agirait pas d'une charte des libertés mais d'un «vicieux traquenard». Reprochera-t-on à Daniel Pennac de négliger la pédagogie de l'effort ou l'apprentissage du savoir et de la méthode qui sont l'apanage de l'école? Et d'oublier que les grandes œuvres sont d'abord celles qui résistent? Non; l'auteur de «L'œil du loup» ne doit rien ignorer de cela. Mais aujourd'hui il y a urgence. Au livre qui effraie, il oppose plus prudemment une stratégie de la séduction. Celle-là même qui nous pousse vers des livres nouveaux. Celle dont l'auteur de cet article voudrait aussi avoir fait preuve pour convaincre les lecteurs assidus du journal La Presse des mérites de «Comme un roman».