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« L'adoption de cette loi ferait avorter notre démocratie naissante »
Farah Hached évoque le projet de loi relatif à la réconciliation économique et financière
Publié dans La Presse de Tunisie le 11 - 05 - 2017

En 2011, Farah Hached, juriste, petite-fille du militant syndicaliste Farhat Hached, fonde le Labo démocratique. Une organisation de la société civile engagée dans le suivi et la défense du processus de justice transitionnelle en Tunisie. Farah Hached explique dans cette interview les raisons de son opposition au projet de loi relatif à la réconciliation économique et financière
Pourquoi à votre avis revient-on encore une fois à ce projet de loi en vue de le faire adopter par l'ARP, alors que le consensus n'a pas été trouvé auparavant autour de ses 12 articles ?
Au sein de la société civile, nous nous sommes beaucoup interrogés sur les raisons de cet acharnement de la part de la présidence de la République à vouloir coûte que coûte faire passer le projet de loi dit « de réconciliation ». En effet, un cadre juridique pour la justice transitionnelle existe. Il prévoit déjà une procédure d'arbitrage et de réconciliation. Ce cadre n'est certes pas parfait, mais il contient un certain nombre de garanties pour que le processus de justice transitionnelle soit un minimum respecté. Donc, pourquoi ne pas proposer une réforme pour améliorer le cadre existant ? La présidence de la République et ceux qui défendent le projet de loi prétendent qu'il va débloquer l'économie en permettant notamment d'amnistier près de 1.500 fonctionnaires qui ont pu indirectement contribuer à des affaires de corruption sans s'enrichir personnellement. Selon eux, ces fonctionnaires, qui ont des dossiers en instance et une sorte d'épée de Damoclès sur la tête, bloquent les projets. Nous ne comprenons pas ce raisonnement. D'abord, pourquoi des personnes mises en cause dans des affaires de corruption devraient avoir le droit de bloquer des projets et d'opérer un chantage contre l'Etat ? Cela n'est pas très rassurant concernant les chaînes de décision et les procédures au sein des administrations. Ensuite, les investisseurs sont d'abord et avant tout frileux à cause de la corruption ambiante et de l'insécurité juridique qu'elle implique. Un investisseur cherche un environnement sain, où il a de la visibilité, où les règles sont claires et ne changent pas selon le nombre de dinars qu'il est prêt à débourser pour obtenir finalement ses droits. Comment obtenir un environnement économique assaini si les pratiques de corruption ne sont pas décortiquées en détail ? Enfin et surtout, le cadre juridique actuel permet à l'Etat et aux fonctionnaires concernés de déposer une requête de réconciliation auprès de la commission d'arbitrage déjà existante au sein de l'IVD. Une fois les clauses de la réconciliation réalisées, il y a extinction des actions en justice à l'encontre des concernés. L'épée de Damoclès disparaît donc.
Mais le cadre actuel de l'arbitrage économique proposé par l'IVD est-il suffisant à votre avis pour que réconciliation économique se fasse ?
Le cadre actuel contient certaines garanties qui répondent aux critères de la justice transitionnelle. S'il est prouvé que la personne a caché la vérité, l'action en justice reprend. Il y a donc une sanction. La commission d'arbitrage et de réconciliation peut être saisie par le concerné, mais aussi par toute victime, y compris l'Etat. D'autre part, les concernés doivent participer aux séances d'auditions publiques organisées par l'IVD, si celle-ci en fait la requête, ce qui permet d'exposer les faits au public afin que les citoyens puissent comprendre les dysfonctionnements de l'ancien régime en matière de corruption. Un autre point important : les informations contenues dans les dossiers d'arbitrage seront utilisées pour la révélation de la vérité dans le rapport final de l'IVD.
Il est vrai que le cadre actuel n'est pas parfait et nécessite des améliorations, notamment en matière de transparence. Nous pensons, en tant qu'organisation de la société civile, que les conventions d'arbitrage doivent être rendues publiques pour que le critère premier de la justice transitionnelle – à savoir la révélation de la vérité – soit entièrement respecté. Par ailleurs, comme chacun le sait, l'IVD vit certains problèmes en termes de gouvernance et de fonctionnement. Pourquoi vouloir court-circuiter le processus actuel au lieu de l'améliorer ? La démarche n'est-elle pas liée à un agenda politique ? Monsieur le président de la République, alors candidat, avait à plusieurs reprises exprimé publiquement ses doutes concernant la justice transitionnelle au moment de sa campagne électorale. De nombreux soutiens des divers partis politiques dominant aujourd'hui le jeu politique sont concernés par le processus de justice transitionnelle. Le président d'Ennahdha a même utilisé l'expression « réconciliation globale ». Y a-t-il un lien avec l'enjeu des élections municipales et les soutiens nécessaires pour les remporter ? Il est légitime de se poser la question. Dans tous les cas, un processus alternatif pour les crimes et délits financiers doit être conforme à la Constitution et doit nécessairement proposer des mécanismes au moins équivalent ou supérieur à ce qui existe déjà en matière de respect des critères de la justice transitionnelle et sans entrer en contradiction avec le processus existant. Le projet de loi de la présidence de la République ne remplit pas ces conditions, y compris avec les nouveaux amendements, que nous avons pu nous procurer et étudier.
Une seconde version du projet circule sans avoir été déposée officiellement à l'ARP. Améliore-t-elle à votre avis le contenu de la première mouture ?
Oui et non. Elle l'améliore sur certains aspects, mais il y a un recul sur d'autres aspects. Surtout, cette dernière version reste bien en deçà de ce que prévoit déjà le cadre juridique existant, à savoir la loi sur la justice transitionnelle. Le projet de loi prévoit trois catégories de personnes. Primo, les fonctionnaires liés indirectement à des crimes ou délits financiers sans enrichissement personnel, qui peuvent être amnistiés. Secundo, les personnes impliquées dans des affaires de corruption, qui peuvent déposer une demande d'arbitrage et réconciliation auprès d'une nouvelle commission qui sera prévue à cet effet. Et tertio, les personnes ayant commis des crimes et délits relatifs à la règlementation de change ou au fisc. Je retiendrai les deux premiers cas, qui sont clairement concernés par la justice transitionnelle.
Plusieurs éléments sont à relever. Aucune sanction n'est prévue en cas d'omission ou de mensonge, contrairement au cadre actuel. La commission ne peut être saisie que par les concernés, à leur demande. C'est-à-dire l'Etat ou les victimes ne peuvent pas demander une procédure d'arbitrage et de réconciliation. La nouvelle procédure proposée ne va pas contribuer à la révélation de la vérité. Il y a un manque de transparence total concernant les conventions d'arbitrage. Les informations ne seront pas utilisées pour décortiquer les mécanismes de corruption sous la dictature comme ce qui est prévu aujourd'hui dans la loi sur la justice transitionnelle. Les personnes concernées ne sont pas obligées de participer aux auditions publiques pour expliquer leur cas devant les citoyens. Par ailleurs, avec les amnisties de ceux qui ont pu être liés à des affaires de corruption sans s'enrichir personnellement, il n'y aura pas non plus possibilité de comprendre toute la mécanique mise en place. Les personnes amnistiées ne seront pas obligées de passer devant la commission pour faire des aveux et expliquer les affaires qui les impliquent. Pourtant, ces informations sont absolument nécessaires pour décortiquer les mécanismes de la corruption et peuvent servir pour recouper des informations dans le cadre d'investigation dans des dossiers plus importants.
Dans la première version de la loi, la Commission de Venise avait reproché au projet le manque d'indépendance de la commission de réconciliation. Qu'en est-il de l'actuelle mouture ?
La nouvelle commission n'est pas non plus totalement indépendante et le critère d'intégrité de ses membres n'est pas garanti par le texte. Dans le projet initial, elle était encore moins indépendante puisqu'elle était composée de membres quasiment tous représentants du pouvoir exécutif. Le projet prévoyait par contre la présence de deux membres de l'IVD. Dans la nouvelle mouture, la composition prend un peu plus en compte le critère d'indépendance, sans pour autant l'atteindre. Dans cette nouvelle version, le président de la commission est, de droit, le président de l'Inulcc (qui est aujourd'hui Chawki Tabib). Nous avons l'impression que les rédacteurs de la loi ont voulu tabler sur la popularité et la réputation de l'actuel président de l'Inulcc. Cependant, ils ont, semble-t-il, oublié que le président de l'Inulcc est nommé et est destitué par le chef du gouvernement. Donc, il n'est pas juridiquement indépendant. Par ailleurs, la commission n'a pas d'autonomie financière et administrative et les deux membres de l'IVD prévus dans le projet initial disparaissent de la nouvelle commission. Autre élément, une partie des membres de la nouvelle commission prévue sont des magistrats, ce qui peut rassurer de prime abord. Cependant, aucune disposition de la loi ne prévoit une vérification du passé de ces magistrats. Et si on découvre le nom d'un des magistrats nommés dans les dossiers déposés par des victimes auprès de l'IVD ?
L'article 12 de la première version du projet propose un transfert de compétences d'arbitrage et de conciliation de l'IVD vers une commission de réconciliation. Pensez-vous que cela puisse affaiblir l'IVD ?
Le transfert d'une partie de la compétence de l'IVD vers un autre organe — à savoir les crimes et délits liés aux affaires de corruption — n'est pas un problème en soi, à condition que toutes les conditions de la justice transitionnelle soient remplies et qu'il n'y ait pas de contradictions entre les deux voies. Cependant, aucune des versions proposées ne satisfait ces conditions et toutes mettent en place un système à deux voies qui se contredisent et peuvent constituer des blocages l'une pour l'autre.
Nous avons l'impression qu'en effet la démarche proposée est là pour affaiblir encore plus l'IVD et le processus existant, au lieu de participer au contraire à le renforcer. Le premier pilier de la JT qui est la révélation de la vérité passe à la trappe. Et, seules les personnes impliquées dans des dossiers de corruption peuvent le déclencher. Les victimes n'ont plus de place, alors qu'elles sont le centre de gravité de la justice transitionnelle.
Quelle stratégie allez-vous emprunter les jours qui viennent au moment où le projet sera rediscuté à l'ARP ?
Notre organisation est un think tank, qui fait des analyses et des propositions concrètes. Par ailleurs, nous avons lancé en début d'année un observatoire de la justice transitionnelle qui va sortir son premier rapport quadrimestriel à la fin du mois. Nous souhaitons toujours garder une position équilibrée et pragmatique, en ne perdant pas de vue que la pierre angulaire de notre travail est le renforcement de la démocratie et de l'Etat de droit en Tunisie.
Nous pensons que le processus de la justice transitionnelle doit être amélioré mais que le projet de loi proposé accuse au contraire un recul net du processus. C'est pour cela que nous soutenons et encourageons nos collègues de la société civile à s'opposer à ce projet.
Jusque-là, la Tunisie était à la croisée des chemins. Nous pensons que si ce projet de loi passe, nous emprunterons alors le pire des chemins : celui de l'avortement de notre démocratie naissante.


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