Pour cette première exposition personnelle, à l'orée de ses trente-quatre printemps, preste, Asma Ghiloufi avance dans l'art avec doigté, sans tumulte, en nous présentant douze tableaux-dessins traités dans une facture inédite. Dessiner en tamponnant, marquer à l'encre d'un sceau, faire trace, tel est l'acte artistique d'Asma Ghiloufi. Ce qui en résulte : des dessins géants déroutants et surprenants. En s'en approchant, nous découvrons de minuscules dessins composant le grand. Une relation ludique se noue entre le macroscopique et le microscopique. Ce lien n'est jamais établi gratuitement, parce que le chapeau de Charlot est fait avec une multiplicité de petites cannes de ce personnage devenu mythique, la baignoire avec un trou de serrure, le livre avec des paires de lunettes, le cendrier en verre avec un briquet, la cravate avec un bâton de rouge à lèvres, l'encrier avec des plumes... De format carré ou rectangulaire, la majorité de ces tableaux-dessins sont des toiles de grand format, les autres sont de moyen format travaillés sur papier dessin aux dimensions allant de 190 x 130 cm à 90 x 90 cm. Sur un fond blanc de toile apprêtée ou de papier dessin, les douze objets figurés contiennent chacun un autre objet multiplié en petit à l'infini et qui le compose dans une encre soit rouge, bleue, verte ou noire. Dessiner, c'est écrire Le destin des dessins d'Asma Ghiloufi rappelle qu'à l'origine, l'action de peindre et celle d'écrire sont une. La preuve est qu'en langue grecque ancienne, ils découlent de la même racine : graphein, ce qui signifie tracer des signes graphiques. Autant peindre ou dessiner qu'écrire font trace. Il en est ainsi du premier homme qui a dessiné par besoin et nécessité vitale sur les parois des cavernes, non point pour décorer, mais afin de mieux connaître l'animal qu'il capturait pour survivre. Pareillement, le besoin et la nécessité de mémoriser et d'inventorier les objets de notre quotidien président au geste créateur de notre artiste. Comme le rythme des pas qui avancent dans l'espace, ainsi que dans le temps, l'édifice du dessin se construit, marque après marque. Ces dernières délimitent les zones d'ombre et de lumière de la forme qui est en train de naître. L'artiste passionnée d'écriture atteint concomitamment ainsi deux objectifs, celui de dessiner et celui d'écrire. Une anthropologie du quotidien À travers son choix du médium qu'est l'encre et son geste saccadé d'imprimer, Asma Ghiloufi la designer en produit, ne fait qu'écrire en plasticienne l'histoire humaine des objets fonctionnels et standards de notre quotidien. Dans toute leur splendeur, le verre en pied ou l'encrier en verre ou la cravate nouée... flottent, baignés limpidement dans la lumière printanière de l'espace d'art marsois. Dans notre quotidien, à force de voir les objets, nous ne les regardons plus pour eux-mêmes dans leur esthétique : matière, couleur, grain et texture. Même s'ils proviennent de la manufacture, l'artiste semble vouloir attirer notre attention sur leur valeur technologique en tant qu'inventions humaines. Ils sont engendrés à partir de notre sensibilité, notre esprit, nos mains, nos machines sont uniques. Par conséquent, ils pourront être compris comme une manifestation de notre identité, notre autre face, parce que, culturellement parlant, ces produits industriels expriment notre mode de vie actuel. Le microscopique forme le macroscopique, le technologique se lie à l'artistique, la science à la poésie et le particulier rejoint l'universel, Asma Ghiloufi écrit et dessine ludiquement notre culture, quitte à nous déstabiliser dans notre confort de regardeur appréciateur. Il est heureux de constater que sur la scène artistique tunisienne, un art actuel se manifeste et qu'un langage visuel nouveau s'instaure par une génération d'artistes qui bousculent les règles instituées de l'art et brouillent les cartes des chemins balisés.