Il y a eu violence, hier, à Al Kamour et à Tataouine. Usage de bombes lacrymogènes par les forces sécuritaires en réaction à une tentative d'irruption par les nombreux manifestants dans le siège du gouvernorat. Bilan : un manifestant mort percuté par un véhicule sécuritaire effectuant une marche arrière pour s'éloigner des assaillants et plusieurs blessés dont deux graves du côté des manifestants, treize blessés du côté des agents des forces sécuritaires, dont une tentative d'immolation d'un officier, neuf autres blessés dans les rangs de la garde nationale et un autre relevant de la Protection civile attaqué dans son camion venu secourir les blessés. Les protestations des sit-inneurs d'Al Kamour ont donc pris, hier, une tournure regrettable, tant redoutée, avec la mort d'un jeune manifestant « percuté par un véhicule sécuritaire par l'arrière », a souligné le porte-parole du ministère de l'Intérieur lors d'un point de presse commun avec celui du ministère de la Défense. Pourtant, « les forces sécuritaires ont fait preuve de beaucoup de retenue, usant de bombes lacrymogènes mais pas de balles », a tenu à préciser le porte-parole du ministère de l'Intérieur en réponse aux rumeurs qui circulent sur le web. « Ils sont intervenus pour disperser les manifestants et protéger un édifice public (le siège du gouvernorat) menacé d'être pris d'assaut », a-t-il ajouté. La dégradation de la situation s'est également soldée par des dégâts matériels : saccage et pillage du dépôt de la municipalité de Tataouine et celui de la douane à Dhehiba ainsi que la mise à feu de treize véhicules de police, deux véhicules de la protection civile et neuf voitures de la garde nationale ainsi que deux grosses motos de la police de la circulation. Conséquence : retrait des forces sécuritaires, renforcement de la sécurité des sites de production et, en fin de journée, une alerte émanant de la coordination des sit-inneurs d'Al Kamour faisant état de la présence parmi eux « d'intrus », des éléments inconnus et suspects prêts à commettre des actes de vandalisme au courant de la nuit. Plus tôt dans la journée, le ministre de l'Emploi, Imed Hammami, avait, à son tour, déclaré aux médias l'implication de partis politiques derrière les troubles qui secouent la région de Tataouine, depuis quelques semaines, les accusant de jeter de l'huile sur le feu à des desseins purement électoraux. Tataouine a donc vécu hier une journée exceptionnelle, au lendemain de la conférence des gouverneurs tenue à Tunis au cours de laquelle le chef du gouvernement a rappelé que l'Etat, qui respecte le droit légitime aux manifestations pacifiques, ne peut plus tolérer le blocage des unités de production et des routes. Le président de la République avait lui-même ordonné, quelques jours auparavant, le déploiement des forces armées devant ces sites afin de les préserver et de maintenir la production du pétrole et du gaz, si précieuse au pays, surtout en ces temps de crise économique profonde. Ces décisions sont venues après que les sit-inneurs d'Al Kamour eurent exigé et obtenu la fermeture d'une des vannes de production dans le Sahara et que d'autres manifestants d'El Faouar, dans le gouvernorat voisin de Kebili, eurent tenté d'obtenir la même chose des forces armées en position. Hier encore, un gazoduc a été saboté dans la région d'Al Kamour. La société d'exploitation a, en conséquence, pris la décision de fermer les vannes. Grandes craintes Sur le terrain, le sit-in d'Al Kamour s'est enlisé chaque jour un peu plus et la colère est montée inexorablement depuis qu'une partie des manifestants, la minorité, ont refusé en bloc les propositions d'Imed Hammami — 1.000 emplois dans la Société de l'environnement, 1.000 autres dans les entreprises pétrolières au cours de l'année 2017; 500 au cours de 2018 et le déblocage de 50 MDT au profit du Fonds de développement de la région de Tataouine — jugées en deçà de leurs attentes (recrutement de 1.500 jeunes dans les entreprises pétrolières opérant à Tataouine et 3.000 autres dans la Société de l'environnement ainsi que le déblocage d'un montant de 100 MDT). Exigeant de nouvelles négociations avec le gouvernement et campant sur leur position jusqu'à la satisfaction de leurs revendications, les manifestants ont bien signifié leur détermination à ne pas lâcher prise et ont même appelé les habitants des localités mitoyennes à se joindre à eux et les soutenir dans leur mouvement de protestation. Al Harak de Moncef Marzouki avait lui aussi appelé la population à manifester massivement à l'avenue Habib-Bourguiba à Tunis, ce qui fut fait hier après-midi, et dans toutes les villes du pays, pour soutenir les sit-inneurs de Tataouine et pour condamner le recours à la force publique face aux manifestants pacifiques. Aujourd'hui, les craintes sont grandes de voir la colère des manifestants se propager comme boule de neige à travers les régions. Si bien que des communiqués officiels appelant au calme et à la retenue ont émané hier de l'Ugtt et de plusieurs partis politiques appelant, d'une part, le gouvernement à trouver des solutions sérieuses aux problèmes de Tataouine et de toutes les régions déshéritées et, d'autre part, les citoyens à faire preuve de responsabilité et de compréhension. Le gouvernement d'union nationale est aujourd'hui à la croisée des chemins, il devra prendre les rênes du pays d'une main de maître en s'attaquant aux véritables problèmes qui plombent son action et qui font ressentir aux Tunisiens que rien n'a changé depuis le 14 janvier 2011. Sinon, le pire est à craindre.