Le docteur en économie du développement Hédi Sraieb souligne : «Avoir l'opinion avec soi est, certes, important mais insuffisant» «Le pouvoir actuel, en dépit des atouts dont il dispose, ne détient pas l'arsenal juridique et policier suffisant pour s'attaquer à la grande criminalité économique, bien installée depuis des lustres et qui plus est, a su se doter d'une façade de respectabilité», a affirmé Hedi Sraieb, docteur d'Etat en économie du développement, qui donne, dans un entretien accordé à l'agence TAP, sa lecture des dernières arrestations et mesures engagées par le gouvernement dans le cadre de la lutte contre la corruption. Peut-on qualifier les dernières arrestations et mesures engagées par le gouvernement de «guerre» contre la corruption? Le gouvernement entame une action dont on ne sait pas bien encore où elle pourrait le mener. Au-delà de la fulgurance de l'action et du secret de sa préparation, qui font précisément penser à «une guerre», le reste est tout de même bien confus. L'homme d'affaires arrêté l'est-il pour des faits de délits ou d'infractions ou pour des faits de crimes et d'atteinte à la sûreté de l'Etat. Ce n'est pas tout à fait, la même chose ! Il est possible que les deux forfaits soient intimement liés, mais il faut attendre que la justice, — pour l'instant militaire —, se prononce. Dans la foulée, de nombreuses arrestations ont eu lieu, qui s'apparentent à des délits voire des crimes économiques...que l'on résume improprement, sous le vocable de «corruption», car en matière de droit et de justice, il y a des degrés dans la gravité des délits. Il faut éviter la démagogie ambiante qui consiste à dire que «toutes les corruptions se valent, aussi bien la grande que la petite». Sinon comment doit procéder le gouvernement pour combattre la corruption ? Je n'ai bien évidemment pas de recommandations ni de conseils à prodiguer à ce gouvernement. Comme tout un chacun, je salue cet engagement. Cette première attaque est certes bien portée, mais ne préjuge en rien de l'issue finale...Il y aura bien des péripéties et des retournements. Il faut juste avoir à l'esprit le fait que quand le gouvernement assène des coups, il faut qu'il s'attende à en recevoir. Croire que ceux qui détiennent les multiples réseaux de scélérats, vont rester les bras croisés, c'est tout de même méconnaître et nier le degré de décomposition de l'Etat et de la société civile elle-même ! Force est de constater qu'avec les seuls cadres institutionnels dont dispose le gouvernement, il y a peu de chances qu'il puisse mener une lutte victorieuse jusqu'à son terme. Je ne présume pas de la «bonne volonté» du gouvernement, celle-ci est manifeste ! Mais elle risque fort de devoir composer avec la faiblesse de ses moyens. Il n'a échappé à personne que les services de l'Etat qu'il s'agisse de sa justice, de sa police, de son administration (douanes) et autres... que tous ces corps constitués sont largement gangrénés. Alors sur qui pourront compter le moment venu le chef du gouvernement et ses ministres intrépides : qui osera instruire à charge ? Qui osera juger de manière exemplaire ? Les expériences étrangères enseignent toutefois que face à ces phénomènes de corruption assez largement généralisés qui éclaboussent (doux euphémisme) jusqu'à la sphère politique et ses acteurs, il convient de mettre en œuvre des dispositifs d'exception. Partout où ce combat est mené, les gouvernements se sont dotés de lois spéciales comme de corps de magistrats et de police totalement dédiés à cette action. Tout le monde parle de «Mani pulite» (opération mains propres menée en Italie), sans jamais véritablement relater ses conditions, ses épisodes (souvent sanglants), ses véritables résultats. En Tunisie, il n'y a à ce jour qu'un embryon de police judiciaire spécialisée et quelques juges mal formés dans ce domaine. Quelles répercussions pourrait avoir une vraie guerre contre la corruption sur le plan économique? Espérer mener à bien cette lutte contre les multiples malversations suppose la capacité de réunir les conditions de son efficience. Partir «la fleur au fusil» , est pour le moins prendre des risques inconsidérés. Avoir l'opinion avec soi est, certes, important mais insuffisant ! Il est vrai que ce gouvernement, en frappant vite et fort, peut créer un choc psychologique dans la sphère protéiforme de la malversation... mais là aussi c'est insuffisant. En dépit de ces atouts, le pouvoir actuel ne dispose pas de l'arsenal juridique et policier pour s'attaquer à la grande criminalité économique bien installée depuis des lustres et qui plus est, a su se doter d'une façade de respectabilité. Comme vous avez pu le constater, il est surtout question de contrebande, voire de trafics illicites (armes), mais pas du tout de blanchiment d'argent, de détournement de fonds publics, de fraude fiscale ou de change, d'abus de confiance et d'abus de biens sociaux, de recel de trafic d'influence... et j'en passe. Alors oui, on peut souscrire à la formule d'A. Gramsci «pessimisme de la situation, mais optimisme de la volonté», sans trop d'illusions tout de même. Attendons les inculpations et les chefs d'accusation retenus pour voir la tournure que pourrait prendre cette tentative de juguler la corruption devenue endémique, car cela risque de durer.