Après avoir servi la nation en occupant plusieurs importantes missions, notamment le commandement des unités navales, de l'Académie navale, de l'Ecole supérieure de guerre ainsi que la direction de l'enseignement militaire supérieur, M. Houssine Bzainia rejoint la société civile. Membre de l'association S.O.S Terrorisme, il s'engage à lutter contre le fléau de l'obscurantisme et de la terreur. L'Etat entame la construction d'une barrière frontalière entre la Tunisie et la Libye. Une telle mesure sera-t-elle efficace, surtout après la propagation de l'idéologie terroriste dans notre pays ? Tout dépend, en fait, de la nature de cette barrière. Si c'était un mur construit à Gaza, il serait efficace. Mais pour ce qui est de la barrière Tunisie-Libye, il convient d'indiquer, d'abord, que son coût est exorbitant et que sa réalisation prendra du temps. Etant un mur d'obstacle, haut de deux mètres en sable avec une tranchée tout au long, il sera sûrement efficace, mais je crains que son efficacité ne soit limitée. C'est que le mur longera seulement 170 kilomètres (+40 km). Or la frontière tuniso-libyenne s'étale plus sur de 500 kilomètres. Certes, le Sahara joue le rôle d'un obstacle naturel, mais cette frontière reste, tout de même, susceptible d'être traversée par les terroristes et par les trafiquants. Force est d'admettre que le sud de la Libye est hors de contrôle. Le mur serait, à mon avis, une bonne idée à condition qu'il soit conjugué avec des moyens de repérage comme les radars, par exemple, qui devraient être installés tout au long de la frontière et qui seront, à mon avis, nettement moins coûteux. Dans la guerre antiterrorisme, il est fondamental de mener une guerre sans merci contre les trafiquants. Un responsable libyen affirme la présence de 4.000 terroristes d'origine tunisienne en Libye. Combien sont-ils à votre avis dans notre propre territoire ? Se hasarder à avancer des chiffres sur le nombre des terroristes en Tunisie serait de l'ordre des devinettes. Seuls les services de renseignements ont des idées claires là–dessus et sont habilités à révéler des chiffres. Cela dit, il faut se mettre en tête que le terroriste n'est pas uniquement celui qui commet l'acte terroriste. Il y a des réseaux d'appui, de financement, etc. Il convient, par conséquent, de faire le compte de tous ces réseaux implantés dans notre territoire. Nous avons la conviction que les cellules dormantes sont partout mais personne ne parvient à cerner ni leur nombre ni celui des personnes actives dans chacune d'entre elles. D'un autre côté, celui qui fait l'apologie du terrorisme est, par définition, terroriste. Je ne sais pas si la question est tranchée pour les autres ou pas, surtout que les gens qui prônent le takfir restent libres comme le vent...Pour moi, du moins, elle l'est. Après les attaques de Chaâmbi et de Jebel Salloum, les terroristes se sont infiltrés dans les villes et ont attaqué des visiteurs étrangers, au Bardo et à Sousse. Les civils seront-ils leurs prochaines victimes ? Sans aucun doute. Cela est parfaitement conforme au modus terroriste. Ils commencent, d'abord, par s'attaquer aux forces armées, pour passer aux embuscades. Ils ciblent, par la suite, les institutions étatiques ou ceux capables de produire un effet médiatique de taille. Les deux premières étapes franchies, il ne reste que la dernière : celle de la violence aveugle. Ils s'attaqueront à la population pour faire le maximum de victimes. Comme c'était, d'ailleurs, le cas en Algérie L'Etat est-il apte sur les plans stratégique, logistique et tactique à lutter contre le terrorisme dans les villes ? Et quels sont, à votre avis, les axes fondamentaux d'une bonne stratégie de lutte contre le terrorisme ? Certaines mesures sont, à mon avis, indispensables à prendre pour que l'Etat puisse être bien armé contre le terrorisme. Primo, il convient de désigner un seul commandant opérationnel qui mènera, au nom de l'Etat, la guerre contre le terrorisme. Actuellement, l'armée, la garde nationale et la police mènent, chacune de son côté, sa propre guerre antiterroriste. Certes, elles coordonnent entre elles. Mais comment ? Et avec quelle efficacité ? D'un point de vue fonctionnel, c'est un non-sens. L'état de guerre implique la désignation d'un chef unique. La guerre, dans le contexte actuel, n'est pas la guerre des chefs. Le commandant sur terrain doit bénéficier, pleinement, de la liberté d'action requise pour agir dans l'immédiat. Aussi, une stratégie claire devrait-elle être arrêtée par le gouvernement dans ce sens. Secundo, il est nécessaire d'établir les règles d'engagement. On appelle « règles d'engagement » celles qui régissent l'utilisation des armes par les agents de l'Etat sur le terrain, notamment les policiers, les gendarmes, les douaniers, etc. L'agent de l'Etat doit, en effet, avoir des directives claires sur ce point. Celles-ci lui permettent de savoir quand et comment utiliser son arme, quand tirer pour tuer, quand tirer pour neutraliser et quand ne pas tirer. Il ne faut pas le laisser agir par réflexe et surtout dans des situations de panique. Ces règles doivent être établies, écrites en collaboration avec les intervenants sur le terrain, comme les états-majors, les colonels, et approuvées par le pouvoir politique. Autre axe tout aussi primordial : les renseignements. On attend encore la création d'une agence nationale de renseignements. Une agence qui se chargera de la centralisation et de l'analyse des renseignements collectés et qui répercutera ses recommandations au pouvoir politique et aux intervenants sur le terrain. Actuellement, plusieurs services de renseignements relevant de la direction générale de la sécurité militaire, de la garde nationale, du ministère de l'Intérieur, de la douane, de la garde présidentielle, de la direction des prisons assurent la collecte des renseignements. La question qui se pose : ces renseignements sont-ils centralisés ou non ? Aux USA, l'Ansa a été créée suite aux attentats du 11 septembre 2001. Les autres agences établies précédemment continuent à servir d'organismes de renseignements. Aussi, la création de l'agence nationale de renseignements s'impose ; une agence que l'on veut indépendante de tous les tiraillements idéologiques et politiques. Quatrième pilier de la stratégie antiterrorisme : le renforcement des capacités organisationnelles et des équipements. J'ignore les insuffisances de l'aspect technique et matériel. Mais une chose est sûre : les effectifs de commandos sont faibles. La guerre contre le terrorisme est une guerre asymétrique. C'est une guerre de commandos par excellence ( dans l'armée, dans la police et dans la garde nationale ). D'où l'impératif de consolider les effectifs de ces commandos. Je tiens aussi à attirer l'attention sur le manque d'appui aux familles des victimes d'actes terroristes, martyrs ou blessés. Elles devraient être soutenues et compensées ne serait-ce que matériellement. Quant aux soldats et agents de l'Etat qui sont au front, il convient de veiller à l'amélioration de leurs conditions sécuritaires. Encore faut-il souligner que la lutte contre le terrorisme ne se limite pas au seul axe sécuritaire. Il y a un axe idéologique sur lequel l'Etat, les partis politiques et la société civile doivent travailler. Il s'agit de déconstruire les idées qui engraissent le terrorisme et ce, en pénalisant tout ce qui relève du takfir. Il est grand temps d'agir, ensemble, pour diffuser la culture de la tolérance à tous les niveaux. Il n'est plus tolérable, par contre, de caresser dans le sens du poil les comportements et les idées qui accréditent la vision de la division au sein de la société tunisienne. Certains ont tendance à juger les musulmans et les pratiquants de « bons Tunisiens » ou de « bons citoyens », comme si les non-musulmans et les non-pratiquants faisaient ont partie du clan des mauvais. Rappelons que la Constitution consacre la liberté de conscience. La lutte contre le terrorisme comprend aussi un axe politique et économique. L'Etat doit trouver des solutions aux problèmes qui nourrissent le terrorisme, notamment le chômage, l'iniquité en termes de développement, etc. Il faut combattre inlassablement la contrebande, principal allié du terrorisme. Par ailleurs, la lutte contre la corruption constitue, elle aussi, une composante essentielle de la lutte antiterrorisme. En effet, la corruption peut servir le terrorisme de deux façons : des gens corrompus et qui font partie de l'appareil de l'Etat peuvent servir le terrorisme de plusieurs manières. D'autant plus que l'image glorifié d'un corrompu qui a réussi sa vie grâce aux abus risque d'influer les jeunes qui n'hésiteront pas à le prendre pour modèle. Nous devons, en revanche, encourager les jeunes et veiller à leur insertion dans la vie économique. Sur le plan juridique, il est temps de ratifier la loi antiterroriste. Il faut lutter contre l'injustice face à la loi afin que chaque citoyen ait le sentiment d'être soumis à la loi et d'être protégé par celle-ci, sur un pied d'égalité que tout autre citoyen. Je tiens, enfin, à attirer l'attention sur l'action des partis politiques et de la société civile qui est insuffisante dans la lutte contre le terrorisme. Ils nous donnent l'impression que cette guerre n'est pas la leur. D'où la nécessaire implication des partis politiques et de la société civile dans cette guerre. L'Etat doit révéler sa stratégie globale de lutte contre le terrorisme ; une stratégie intégrale et non seulement militaire. Si la coopération tuniso-algérienne s'avère insuffisante pour faire face à la menace de Daech, quelles sont, à votre avis, les alternatives de coopération internationale sur lesquelles l'Etat devrait miser pour gagner le combat antiterroriste ? La coopération avec l'Algérie fonctionne surtout en matière de renseignements. A ma connaissance, la Tunisie coopère aussi avec l'Italie, la France, l'Espagne et l'Allemagne. Avec la Libye, je ne pense pas qu'il y ait une coopération au sens conventionnel du terme. Cela dit, recueillir des informations en Libye s'impose, quitte à charger des agents spéciaux de renseignement de courir le risque, situation de guerre oblige. Il faut que le système de renseignement ait recours à l'infiltration dans les réseaux terroristes. L'on soupçonne l'infiltration du système de sécurité par les réseaux terroristes. Qu'en pense-vous ? « Il m'est impossible de l'infirmer ou de le confirmer. Tout ce que je sais, c'est qu'il y a des indices et des rumeurs qui laissent planer des doutes. Si l'information sur une éventuelle attaque terroriste est ébruitée, cela pourrait être un indice d'interprétation...Sur ce plan-là, je reste prudent.