Par Abdelhamid Gmati La « grande muette » suscite l'intérêt d'un certain nombre de Tunisiens. Et ses actions contre le terrorisme sont saluées. Il se trouve que, ces jours-ci, certains s'interrogent. Le décès d'un officier de l'armée nationale, victime d'une mine sur les hauteurs du mont Ouergha dans le gouvernorat du Kef, provoque l'interrogation : pourquoi ne réussit-on pas à pacifier définitivement les montagnes ? La réponse est pourtant évidente : on ne peut déployer des militaires pour occuper en permanence des milliers de kilomètres carrés. Faut-il rappeler que les forces coloniales avaient tracé la « ligne Morice » tout le long de la frontière algéro-tunisienne, sur 460 km, pour empêcher les combattants algériens de venir se ravitailler en Tunisie. Cette ligne était barbelée, électrifiée, minée et surveillée en permanence. Cela n'a pas empêché nos frères algériens de passer la frontière dans les deux sens, infligeant de lourdes pertes aux soldats français. Et puis, il est établi que les terroristes ne portent pas de signes distinctifs (ils se sont même rasé la barbe) et vivent au milieu de la population locale. Ils épient les mouvements des militaires et des forces de sécurité pour se faufiler et aller poser les mines dont sont, parfois, victimes des civils et des militaires. Et ils bénéficient du soutien logistique de certains « mercenaires » et des membres de cellules dormantes que les forces de sécurité démantèlent régulièrement. Lundi dernier, les agents de la garde nationale à Ghardimaou ont arrêté un individu qui transportait de la viande et des denrées alimentaires destinées aux terroristes des montagnes avoisinantes. Cela dit, les opérations de ratissage qui sont menées régulièrement ont été couronnées de succès et la poignée de terroristes qui restent se terrent. Certains observateurs ont été surpris et « offusqués » par les récents propos du chef du gouvernement : « On avait une armée pour défiler le 20 mars seulement ». Et les réponses ont fusé. Et on rappelle que : l'armée nationale n'a défilé qu'une seule fois, c'était le 20 mars 1989 ; et ce n'était pas une armée de parade ; elle s'est toujours acquittée de ses missions avec, en premier, la défense de l'intégrité territoriale du pays et de son indépendance. La lutte contre le terrorisme, les militaires tunisiens l'avaient commencée déjà en 1995 dans la région de Tameghza (Tozeur) lorsque des terroristes s‘étaient attaqués au poste frontalier de Sondes ; ils étaient présents et efficaces à Rouhia, en 2011, et depuis ils ne cessent de traquer les terroristes et de protéger nos frontières. Au prix de dizaines de victimes. Il faudrait ajouter que les militaires tunisiens ont participé, honorablement, à des missions de paix de l'ONU, notamment au Congo et au Cambodge. Et l'armée a contribué au développement du pays en réalisant plusieurs projets d'infrastructure. Il faudrait ici remettre les propos de Youssef Chahed dans leur contexte. Ce qu'il voulait dire est que l'armée nationale était, longtemps, « marginalisée » et manquait de moyens. C'est que le premier président de la République était méfiant, probablement échaudé par les nombreux coups d'Etat menés par des militaires en Afrique et dans le monde arabe. La conséquence en a été une sorte d'« antimilitarisme » au sein même de la population. N'est-il pas significatif que des jeunes ont toujours évité d'accomplir leur service militaire pourtant dicté par la Constitution ? Mais malgré les contraintes et le manque de moyens matériels, les militaires, officiers, sous-officiers et soldats ont toujours bénéficié d'une formation professionnelle de première qualité. Et ils l'ont prouvé dans la guerre contre le terrorisme. Le chef du gouvernement leur a rendu hommage dans le contexte de ses propos cités plus haut. Le président de la République aussi : «Le peuple tunisien doit être fier parce qu'il est protégé par des unités sécuritaires, militaires et douanières qui ont été très vigilantes». Soulignons aussi que l'organisation «Transparency International» a annoncé dans son dernier rapport que « l'armée tunisienne est à la tête des armées les moins corrompues de la région de l'Afrique du Nord et du Moyen-Orient ». Le nom « grande muette » a été donné, en France, à l'armée, en raison des « restrictions apportées par la loi aux libertés individuelles des militaires (droit de vote, d'association, d'expression). Ces restrictions ont été adoptées en Tunisie où l'armée peut être appelée «grande muette». Cela ne veut pas dire que les militaires n'ont rien à dire ou sont « muets ». Dans les espaces consacrés (mess, carré, cercle, club), pour les officiers et les sous-officiers, les discussions vont bon train et touchent tous les sujets de la vie publique. Mais cela reste dans ce cercle fermé et ne parvient pas à l'espace public. Certains de nos politiques devraient suivre cet exemple.