Par Samira DAMI La musique, en tous genres, a la part belle dans les grilles de nos festivals d'été, en revanche peu de place est consacrée au théâtre en général. Pourtant ces manifestations, notamment celles d'envergure internationale, consacraient, jadis, une bonne partie de leur programme au 4e art et aux productions théâtrales nationales et internationales. «Carthage», «Hammamet», «Dougga» et autres s'ouvraient chaque année, au cours des décennies 1970 et 1980, au grand plaisir des amoureux du théâtre, avec des œuvres de grandes compagnies nationales ou internationales. Roger Planchon et Jean-Marie Serreau, comédiens, dramaturges et metteurs en scène français, Taïeb Seddiki, metteur en scène et comédien marocain, feu Aly Ben Ayed, notre comédien et metteur en scène national, n'ont-ils pas ouvert dans les années 60 et 70 le Festival international de Hammamet avec de superbes créations? Mieux, les directeurs des plus prestigieux de nos festivals veillaient, durant ces années-là, à produire des créations théâtrales spécialement conçues pour l'occasion. Certains festivals optaient même pour des coproductions avec de grandes compagnies arabes ou européennes, donnant, ainsi, l'occasion au public de découvrir et d'apprécier les plus grands textes universels ainsi que des classiques du théâtre mondial et autres textes inédits de grands dramaturges contemporains. Monastir, de son côté, accueillait dans les années 70 et 80 le festival du théâtre maghrébin, mais cette vocation a périclité depuis qu'il s'est transformé en festival international pluridisciplinaire. Banalisation et perte de sens. Bref, dans les années 90 et 2000, le 4e art avait pratiquement disparu des programmations des festivals internationaux, nationaux et locaux. Et ce n'est qu'il y a quelques années, sous la pression de quelques professionnels, critiques et journalistes férus de théâtre, que cet art a commencé à refaire, timidement, surface dans la programmation des festivals. Il faut dire, également, que la nomination d'hommes de théâtre à la tête de certaines de ces manifestations y est pour quelque chose. Aussi avec les nominations de directeurs comme Lassaâd Ben Abdallah, Fethi Heddaoui et Moez Mrabet, «Hammamet» a renoué avec le théâtre et la tradition consistant à donner le coup d'envoi avec une production théâtrale inédite. Le théâtre, ce parent pauvre Pour sa 53e édition, «Hammamet» a été inauguré avec «30 ans déjà», pièce qui a célébré trois décennies de créations artistiques à l'espace El Teatro sous la férule de Taoufik Jebali. Une occasion pour le public de (re) visiter les moments forts de pièces phares du dramaturge, comédien et metteur en scène, dont «Klem Ellil», «Houna Tounes», «Les voleurs de Bagdad», «Contre X» et autres. Un «condensé» de scènes, les plus marquants, interprétées, dans une ambiance festive et ludique, par plusieurs générations de comédiens (100 en tout) issus du studio El Teatro. Pour cette édition, «Hammamet» propose, donc, 6 pièces de théâtre sur les 32 spectacles programmés «Indoor», soit un taux de 18% («Le radeau» du Théâtre organique, «Hdith Lajbel» de Hédi Abbès, «Hourya» de Leïla Toubel et autres). Cela sans compter l'action théâtrale en coopération avec le festival amateur de Korba en «Outdoor». De son côté, «Carthage», qui verse plutôt dans la musique, ne propose, dans sa 53e édition, que deux productions théâtrales sur les 41 spectacles programmés, soit un taux de 10% : «Terroriste moins le quart» de Raouf Ben Yaghlane et «Aïcha et le sultan», mise en scène par Mohamed Kouka, d'après un texte de Moncef Ben Mrad, outre le stand-up de Lotfi Abdelli «The last year». Le festival international de Sfax a programmé, cette année, deux pièces de théâtre sur les 18 spectacles proposés («Le radeau» et «Malla Aïla» de Sadok Halouès, outre un stand-up de Karim Gharbi : «Mouch mawjoud»), soit un taux de 16%. Le festival international de Sousse présente seulement 3 pièces de théâtre sur les 21 spectacles de sa grille, soit un taux de 14%, tandis que le festival international de Monastir, lui, a définitivement perdu sa spécificité théâtrale en ne proposant que 3 pièces théâtrales sur les 30 spectacles à l'affiche, soit un taux de 10%. Plus, ces productions programmées sont plutôt du genre stand-up tels «The last year» et «Mouch mawjoud». Du côté des festivals nationaux, «Ezzahra», piloté par l'homme de théâtre Hatem Derbal, propose, cette année, 4 pièces de théâtre, dont deux pour enfants sur les 21 spectacles au programme, soit un taux assez important de 19% si l'on compare avec le reste des festivals nationaux et même internationaux. Ainsi, à la lumière de ces chiffres, le théâtre demeure le parent pauvre de nos festivals d'été, ne dépassant jamais le taux de 20% de l'ensemble de leurs programmes respectifs. Cela outre que les productions théâtrales qui y sont diffusées sont pratiquement les mêmes cette année outre que ce sont les genres one-man-show et les stand-up façon divertissement qui dominent. Les grandes créations et productions, à une ou deux exceptions près, sont quasiment absentes. D'aucuns pourraient se demander pourquoi nos festivals, dans leur majorité, zappent de plus en plus le 4e art. Certains parmi les programmateurs et directeurs de ces manifestations évoqueront le manque de financement ainsi que les budgets de plus en plus réduits. Or, quand on sait que le coût des spectacles de certains chanteurs et chanteuses d'Orient (181 mille dinars pour Chirine et 170.000 D pour Nancy Ajrem), l'argument paraît fumeux. D'autres directeurs de festivals argueront du peu d'engouement du public pour le théâtre et des pertes financières qui en découlent. Mais le rôle d'un festival public n'est-il pas, justement, de proposer de l'art, du sens et de la culture et pas seulement du divertissement et du défoulement? L'Etat ne devrait-il pas veiller, également, à un équilibre des genres, des budgets et des objectifs de l'ensemble de ces manifestations? Leurs buts n'étant autres que l'éducation, la découverte et la sensibilisation à l'art et à la culture, loin de toute agitation futile et défoulement collectif. Le théâtre, on le sait, contribue fortement à l'éducation et à la grandeur d'un peuple. Il est, par ailleurs, tout aussi important que nos festivals d'été renouent avec leurs spécificités et leurs vocations artistiques d'antan, comme partout ailleurs, car qui dit, par exemple, «Avignon» dit art, qui dit «Aix-en-Provence» dit art lyrique, etc. Pourquoi, alors, Monastir ne renouerait-il pas avec ses anciens objectifs, soit la promotion et la diffusion du théâtre maghrébin? Un équilibre au plan des spécificités de chaque festival s'impose, outre une sérieuse réflexion sur les buts et le rôle de nos manifestations d'été a fortiori en ces temps de vaches maigres et de restrictions budgétaires. Car on ne perd rien à repenser nos festivals afin de promouvoir et de consacrer harmonieusement aussi bien les arts et la culture que l'animation et le divertissement.