Soirée en deux parties, à Hammamet, avec une Egyptienne pas comme les autres et l'une des figures de proue de la musique arabe alternative. Il y a une musique vieillissante qui ne parvient même pas à mourir une bonne fois pour toutes. Et il y en a une autre, qui se diffuse comme un virus, interprétée par des starlettes botoxées et des jeunes premiers musclés. Heureusement que le monde arabe regorge d'artistes qui prennent racines dans la musique arabe classique, s'inspirent des musiques du monde, utilisent les nouvelles technologies et proposent des titres loin du «Fast-food» musical. Ces derniers sont finalement plus authentiques. Leur musique qu'on appelle underground ou alternative est signe de vitalité et de créativité. Leurs chansons produisent des images de rêve ou de cauchemar. Elles sont on ne peut plus collées à la réalité. Et malgré la gravité des sujets, elles communiquent une envie formidable de les partager et de les défendre. Au début des années 90, avant que le festival de Carthage ne perde définitivement son identité, on nous a fait découvrir «Sabrine» un groupe venu des territoires occupés. Sa musique était universelle et en même temps si authentique. C'était la grande découverte et c'était alors le début de l'aventure de l'underground musical arabe. Sabrine a fait école, à l'instar des anciens tels que les Rahabani ou Cheikh Imam. L'explosion de la musique alternative a eu lieu en post-révolutions arabes. De nouvelles voix se sont fait entendre. Hébergées dans des sites comme Youtube, ou invitées par certains festivals, elles se sont fait connaître en tant que symboles de la résistance. Parmi ces voix, nous citons celles de l'Egyptienne Dina el Wedidi et du Palestinien Thamer Abou Ghazala. Ce duo a animé la soirée de dimanche dernier à la 53e édition du festival international de Hammamet. Hélas, il n'y avait pas la foule. Ne sont venus que ceux qu'on appelle «les avertis» et ceux qui aiment découvrir... C'est Dina qui ouvre le bal, accompagnée par la guitare, l'accordéon, la batterie, les percussions et le «kee bord». L'Egyptienne et ses musiciens très performants accrochent tout de suite le public. «Yalli aref», «Haram», «Ya achikine el gharam», «Aheeh !»... en disent long sur la réalité d'aujourd'hui et les gens, avec de l'humour en plus et une certaine façon de prononcer et de déjouer les mots. Dina chante dans la décontraction, bien que les sujets soient assez douloureux. La deuxième partie du spectacle a été réservée à Thamer Abou Ghazala, fraîchement débarqué d'une tournée en Europe. Tout comme Dina, il vient pour la deuxième fois en Tunisie et il a beaucoup d'amis parmi le public. On dit d'Abou Ghazala qu'il est le chef de file de la musique indépendante. C'est à vérifier. Cet artiste est trop jeune. Il est né au Caire en 1986 de parents mélomanes palestiniens. En 1998 ses parents retournent vivre à Ramallah et c'est là qu'il suit une formation musicale et plus précisément au Conservatoire Edward Saïd. Il apprend à jouer de plusieurs instruments, tels que le busuq, l'harmonium et le luth. Sa première composition s'intitule «Ma fi khouf» (sans peur) et évoque la première Intifada. Avions-nous dit «trop jeune» ? En tout cas — les spécialistes de la musique le confirmeront peut-être — cet artiste activiste de la scène musicale au Proche-Orient, membre du groupe panarabe Alif Ensemble, fondateur d'une plate-forme dédiée à la scène indépendante arabe nommée «Ikaa», a la maturité des grands. Il manipule si bien les notes comme il sait manipuler les mots. Cela se sent, il ne chante que les poèmes qui ont du sens pour lui. Des poèmes à propos de pays féroces et révoltés où même le soleil, complètement bourré, oublie de se lever... Peu importe si parfois on a du mal à comprendre ce qu'il dit, mais le plus intéressant, c'est la manière dont il le dit, cette façon de mettre les émotions sur les mots, de surenchérir avec les notes et de jongler avec le luth. D'ailleurs, il porte ce dernier comme on porte une guitare. Le tout voyage entre le rock et l'éloquence de la métaphore. De «fajrolbid» (poème de Ramez Farag), «Namla» de Tamim Al Bargouthi, «El balat»à «Khabar ajel» (breaking news) on décrypte sensations et ressentis. Imaginez une fourmi coincée dans une mousse de savon...