Pour renforcer les capacités des psychiatres et psychothérapeutes de l'Institut Nebras, une formation dans les techniques de l'Emdr, qui favorise l'autoguérison, vient d'être développée dans ce centre de réhabilitation des victimes de la torture Créé en décembre 2014 par un groupe de médecins venus de la société civile, l'Institut Nebras (lanterne en arabe) est un centre pilote et indépendant, qui soigne gratuitement les rescapés de la torture et leurs familles, anciens prisonniers politiques comme victimes de droit commun. Dirigé par le Dr Malek Lakhoua, il est soutenu par Dignity, une organisation danoise engagée depuis 1982 dans la lutte contre la torture dans le monde. Après avoir expérimenté la « Narrative Exposure Therapy » (NET), une technique basée sur la restitution de la « ligne de vie » de la victime (voir encadré), Nebras vient d'organiser la semaine écoulée une formation diplômante dans la technique de l'Emdr. Une approche validée par l'Organisation mondiale de la santé (OMS) : « une technique coûteuse et qui demande beaucoup d'énergie », souligne Malek Lakhoua. C'est le Dr Mona Zaghrout, psychiatre palestinienne, qui a animé cette formation destinée aux psychiatres et psychothérapeutes de l'équipe permanente de Nebras ainsi que de son réseau de collaborateurs. Une efficacité à toute épreuve Avec Dr Fethi Touzri, Dr Zeineb Abroug, Dr Sami Ouaness, Dr Riadh Bouzid et Dr Malek Lakhoua, Anissa Bouasker fait partie des fondateurs de Nebras. Elle exprime toute son admiration pour Mona Zaghrout : « C'est une formatrice parmi les plus chevronnées en Emdr dans le monde. Mona Zaghrout a choisi de faire face dans son pays à un quotidien fait de violences et de psycho-traumatismes en aidant adultes et enfants à supporter, mieux à retrouver malgré tout un espace de vie où ils peuvent jouir de leur droit au bien-être mental. Cela paraît délirant mais il est possible d'être serein et positif en pleine guerre ». Anissa Bouasker a déjà commencé à utiliser la technique dernièrement apprise également avec les femmes victimes de viols et de violences qu'elle reçoit à l'Hôpital Razi, où elle travaille. « Son efficacité n'est plus à prouver », ajoute-t-elle. La psychiatre rappelle que c'est l'Américaine Francine Shapiro qui a découvert cette technique par hasard, à la fin des années 80, en éliminant complètement une lourde souffrance émotionnelle simplement en laissant ses yeux dériver au hasard, à gauche et à droite, dans un parc. Elle venait pourtant d'apprendre qu'elle était atteinte d'un cancer du sein. Par la suite, Shapiro, psychiatre de formation, a compris qu'on pouvait, grâce aux mouvements oculaires, effacer les souffrances psychiques verrouillées dans le cerveau, surmonter un traumatisme et dissocier le souvenir d'un événement de la douleur qui en découle. L'Emdr, Eye Movement Desensitization and Reprocessing (en français «désensibilisation et retraitement par les mouvements oculaires») est alors né. « Les images appelant d'autres évocations, le psychothérapeute va s'apercevoir dans les cas de torture que d'autres expériences négatives ont précédé cet évènement traumatisant : des violences au sein de la famille par exemple. Lorsqu'on arrive à remettre à la surface du cerveau d'autres souvenirs plus apaisants, le patient peut appréhender le présent et l'avenir avec plus de confiance », explique Dr Bouasker. Guérir par le dessin et le jeu Nebras a également profité de la présence de Mona Zaghrout pour organiser avec la CAP (Cellule d'assistance psychologique des victimes de catastrophes), que préside Anissa Bouasker et le Shocroom du ministère de la Santé en partenariat avec l'OMS, une journée de formation pour les intervenants dans les situations de catastrophe impliquant des enfants, dont le terrorisme. Une trentaine de pédopsychiatres travaillant dans les hôpitaux de toute la République ont participé à cette session consacrée au protocole Butterfly Hug, à savoir la technique de l'Emdr adaptée aux enfants et aux adolescents. Ici les souvenirs sont ressuscités non pas par la parole mais par le dessin et le jeu. « Cette thérapie part du fait qu'on est capable d'autoguérison », ajoute Dr Bouasker. L'Institut Nebras, qui a lancé le mois de juin dernier un concours intitulé « Images contre la torture », va d'autre part commencer bientôt à former des psychologues, qui prendront en charge les femmes victimes de violences dans le cadre de la mise en application de la loi intégrale contre la violence faite aux femmes. Un projet initié en collaboration avec le Fonds des Nations unies pour la population (Fnuap) et les autorités publiques tunisiennes. Qu'est-ce que la NET Therapy ? La « Narrative Exposure Therapy » (NET), qui est utilisée pour alléger les souffrances des rescapés de la torture, est une technique cognitivo-comportementale qui paraît simple. Elle est en fait hyper protocolaire et très codée. La NET permet de restituer la « ligne de vie » de la victime, de sa naissance à sa rencontre avec le psychothérapeute. Un récit, que reconstituent ensemble le patient et son médecin traitant et dont les événements heureux seront symbolisés par des roses et les incidents malheureux par des cailloux. Avec l'arrestation, la torture, les humiliations en prison et l'enfer du contrôle administratif après le retour dans la vie civile, surgissent les grosses pierres. Les traumatismes les plus marquants infligés par les bourreaux pour punir, soutirer des aveux, se venger ou terroriser. Les symptômes de ces souffrances aiguës vont des dépressions aux cauchemars à répétition, aux stratégies d'évitement, aux tremblements, à l'irritabilité et aux troubles relationnels et sexuels. « C'est extrêmement gratifiant pour un thérapeute de pouvoir trouver des fleurs dans des champs de mine. De voir les yeux des patients briller de nouveau », témoigne Dr Anissa Bouasker. O.B.