A Ennahdha, les opposants à la ligne de Rached Ghannouchi ne mâchent plus leurs mots, dénoncent les erreurs répétées du président du parti et annoncent qu'ils ne se tairont plus. Iront-ils jusqu'à quitter le parti ? On attend comment Ghannouchi va apaiser les tensions et faire oublier ses bombes lâchées dans une interview à Nessma TV «Youssef Chahed pourrait être le candidat d'Ennahdha à l'élection présidentielle 2019. D'ici cette échéance, beaucoup d'eau pourrait couler sous les ponts et beaucoup d'alliances et de ruptures pourraient se produire. Ennahdha n'est pas condamné à refaire les mêmes erreurs commises en 2014 quand on a couru vainement derrière un candidat consensuel au Palais de Carthage pour décider, enfin, de laisser quartier libre à nos militants qui ont fini par voter Moncef Marzouki. Ce dernier est, aujourd'hui, en train de nous coller des accusations qui peuvent nous envoyer en prison». C'est Abdellatif Mekki, membre du Conseil de la choura d'Ennahdha, ancien ministre de la Santé sous les deux gouvernements de la Troïka et l'un des chefs de file du mouvement de contestation couvant au sein d'Ennahdha depuis le congrès de Hammamet qui parle ainsi. Et quand Mohamed Ben Salem et Samir Dilou, sans oublier Abdelhamid Jelassi, rejoignent Abdellatif Mekki dans ses analyses et ses réactions à l'interview-événement accordée le 1er août par Rached Ghannouchi à Nessma TV, on ne peut plus parler «d'un débat démocratique ou de liberté d'opinion ou de diversité d'analyse constituant la force d'Ennahdha et sa capacité depuis la période de la clandestinité à gérer avec doigté les désaccords et les divisions entre ses militants et ses cadres» comme ont continué à le souligner ceux qui sont convaincus qu'Ennadhaha est prémuni contre la division ou pour utiliser le terme implosion qui semble déranger même les adversaires irréductibles du parti de Montplaisir. Abdellatif Mekki a sauté le pas et il reconnaît : «Oui, il existe au sein d'Ennahdha un courant opposé à Rached Ghannouchi et à sa façon de gérer le parti. Les membres de ce courant ne contestent pas la légitimité historique de notre cheikh ni son aura et son charisme personnels. Mais, ils ne sont pas disposés à le laisser commettre les fautes qui peuvent menacer l'existence même du parti. Au cours du congrès de Hammamet, nous avons déjà mis en garde contre l'amendement du règlement intérieur qui ouvre la voie aux dérives et aux erreurs. Quand on accorde au président du parti le droit de nommer les membres du bureau exécutif et du bureau politique, on ne fait qu'ouvrir la voie aux décisions qui plaisent maintenant à ceux qui entourent le cheikh et qui sont dans sa grâce, mais qui finiront par nuire à l'unité du parti et à sa cohésion légendaires». Riadh Chaiibi est-il un exemple ? Les propos d'Abdellatif Mekki sont crus et d'une limpidité rare parmi les leaders nahdhaouis qui ont osé jusqu'ici s'exprimer publiquement et dire que tout ne se passe pas merveilleusement. Toutefois, il ne rompt pas encore le cordon ombilical qui le lie à Ennahdha comme l'ont déjà fait Riadh Chaiibi et ses amis qui ont quitté le mouvement pour créer leur propre parti, «le parti de l'édification nationale», et aussi Hamadi Jebali, l'ancien secrétaire général d'Ennahdha et premier chef du gouvernement de la Troïka I. Aujourd'hui, il est installé à Sousse et il se contente de publier régulièrement des déclarations dans lesquelles il adresse des critiques virulentes à son ancien parti et nous rappelle que son projet de création de son propre parti est toujours d'actualité. Et même les graves accusations dont l'a accablé Moncef Marzouki sur Al Jazeera ne l'ont pas dévié de son attachement à lancer un jour ou l'autre son propre parti. Les observateurs qui vibrent à ce que disent les ténors d'Ennahdha et aussi à ce que ne disent pas ces mêmes ténors se demandent le plus légitimement où va Ennahdha. L'heure de l'implosion ou de l'émergence du courant Mekki-Ben Salem-Dilou a-t-elle sonné ? Ghannouchi peut-il encore récupérer les mécontents comme il l'a fait avec Abdelfattah Mourou et leur réserver une place au sein d'Ennahdha en tant qu'une aile en prenant exemple sur François Mitterrand qui a réussi à intégrer les gens du Ceres (Rocard, Chevènement et les autres) au sein du Parti socialiste français ? Toutes ces questions agitent la scène politique nationale en attendant les réactions de Ali Laârayedh qui garde toujours le silence, Noureddine B'hiri qui attend la fin des vacances parlementaires pour s'assurer qu'il continuera à présider le bloc parlementaire nahdhaoui, et aussi Zied Laâdhari, le secrétaire général issu du congrès de Hammamet qui se terre au ministère du Commerce et assiste impuissant à la hausse vertigineuse des prix et fait ce qu'il peut pour que les produits turcs ne dégagent pas définitivement les produits nationaux de nos marchés. Que faut-il faire maintenant pour qu'Ennahdha répare les dégâts qu'il est en train d'endurer du fait «de l'erreur médiatique» commise par Ghannouchi ? On s'attend à ce que Lotfi Zitoun, le conseiller n°1 du cheikh, publie un statut sur Facebook pour rectifier le tir et nous indiquer ce qu'il faut retenir de l'interview de Ghannouchi et de ce qu'il faut en oublier. En attendant les mises au point qui rectifieront les déclarations de Abdelkarim Harouni, président du Conseil de la choura, Rached Ghannouchi est allé rencontrer Noureddine Taboubi, secrétaire général de l'Ugtt, pour «dresser un état des lieux de la situation générale dans le pays», comme l'indiquent les deux communiqués publiés par Ennahdha et l'Ugtt.