Par Noura Borsali Lamia Rezgui, journaliste tuniso-américaine, vivant depuis 1990 à Washington où elle a un bureau et ayant effectué, entre autres enquêtes, celle relative aux «armes chimiques» en Libye, a été couronnée, en juin dernier, par les Américains «Meilleure journaliste internationale 2017». Carthage, en ce 13 août 2017, a choisi, pour être la seule journaliste tunisienne décorée à cette occasion, cette journaliste d'investigation et correspondante dans les zones de conflit de Radio Sawa (ex-Voice of America) qui, après le 11 Septembre, «a voulu étendre ses programmes pour faire parvenir sa voix au monde arabe». (Lire portrait de Lamia Rezgui publié par Amel Belhadj, le 5 août dernier, dans Webmanagercenter). Fallait-il que Carthage penchât en faveur d' «une journaliste tunisienne à Washington» (A. Belhaj) au mépris de centaines de femmes journalistes se démenant dans leurs pays, dans des conditions autres et sans gros moyens ? Et pourtant, certaines d'entre elles réussissent — et avec quelle détermination ! — à se frayer un chemin — ô combien — épineux dans ce marasme qu'est le paysage médiatique tunisien. J'aurais souhaité personnellement qu'une autre journaliste du terroir soit honorée : celle parmi ces journalistes indépendants, intègres, professionnels, compétents et aimant leur métier. Peut-être serait-il temps de rendre hommage à celles qui, dans leur propre pays, s'imposent, par leur travail, souvent dans des conditions internes et externes non confortables. La liberté de presse, parlons-en ! Il serait utile, à notre sens, de rappeler leurs difficultés liées, d'une part aux restrictions des libertés, et, d'autre part, aux problèmes socioéconomiques contre lesquels se débattent des journalistes dont des femmes. À l'occasion de la Journée internationale de la presse 2017, et suite à la publication de son IVe rapport en mai dernier, le Syndicat national des journalistes tunisiens (Snjt) a lancé une sonnette d'alarme en relevant, entre mai 2016 et mai 2017, le nombre de 180 journalistes victimes de licenciements abusifs et de 480 autres de non-paiement ou du retard de paiement de leurs salaires et l'effectif de 30 journalistes ne bénéficiant pas de couverture sociale parce que travaillant sans contrat, sans salaire fixe, et, pour certains, ne percevant pas leurs salaires pendant des mois ! Des femmes journalistes, tout comme leurs confrères, affrontent au quotidien une privatisation inéluctable de leurs institutions auxquelles elles ont tant donné. Et de ce fait, se trouvent confrontées à une précarité certaine, à une détérioration incessante de leurs conditions de travail, et à une menace pesant sur leur droit au travail. Ajoutons à cela que ces femmes journalistes, tout comme leurs confrères, sont soumises à de nouvelles difficultés créées par des lois sur l'état d'urgence ou sur le terrorisme et menacées par le projet de loi «Répression des attaques contre les forces armées» non encore adopté par l'ARP... Projets limitant leur champ de travail, menaçant l'exercice libre de leur profession et mettant en péril leur liberté d'expression..., comme en témoigne le dernier rapport de Reporters sans frontières (RSF) publié en avril dernier. Des femmes journalistes ont été empêchées de faire correctement leur travail entravé par de nouvelles formes de censure, et certaines d'entre elles traînées devant les tribunaux du fait de ces lois. Néji Bghouri, président du Snjt, n'a-t-il pas dénoncé les 41 attaques policières et de responsables du gouvernement contre des journalistes survenues au mois de mars dernier en soulignant que «le contexte n'est pas du tout favorable à la liberté d'expression et celle de la presse» ? Parce que, d'autre part, «certains hommes d'affaires ne cessent de manipuler des journalistes et des médias pour leur compte». Au vu de ces faits, la Tunisie sur 180 pays, enregistrant un léger recul, n'occupe que la 97e position et se trouve classée dans les catégories des pays à « problèmes sensibles » dans le classement mondial de la liberté de presse de RSF du 26 avril dernier. Face à une liberté de presse en recul, à la précarité des conditions des femmes journalistes et de leurs confrères et à la persistance des agressions à leur encontre, en somme face à un climat qui n'encourage pas les journalistes à bénéficier de leur indépendance, ni ne favorise l'instauration d'une presse libre, les femmes journalistes vivent dans une perpétuelle résistance pour la défense de leurs acquis et de leurs droits. C'est vers elles qu'il aurait fallu se tourner, en ce 13 août, afin de leur rendre hommage pour leurs efforts consentis dans des conditions difficiles et dans ce contexte de transition démocratique qui ne leur offre pas un épanouissement de leurs potentialités pour que soit réinventé le métier — ô combien utile — de journaliste. C'est pourquoi je dis, à l'occasion de ce 13 août 2017, à toutes ces femmes journalistes qui se démènent dans leur terroir et qui sont défavorisées par rapport à leur consœur journaliste à Washington, à toutes ces journalistes qui mènent des combats quotidiens pour un meilleur exercice de leur profession dans un contexte médiatique médiocre : je vous salue en ce jour de fête qui est aussi le vôtre !