L'histoire de notre football grouille de noms de joueurs qu'il n'est pas facile d'oublier tellement ils ont égayé nos dimanches par leur talent spectaculaire et surtout par leurs longévité et régularité déconcertantes. Parmi ces noms, il y a même des légendes comme Abdelmajid Ben M'rad, le farfadet des années soixante et soixante-dix, qui était la coqueluche de la large famille espérantiste dont certains fanatiques ne juraient que par son nom. Revivons quelques souvenirs avec lui. Malgré son physique de gringalet et son jeune âge, Ben M'rad a été lancé dans le bain parmi les seniors de l'Espérance Sportive de Tunis par l'entraîneur hongrois Pazmandi à l'âge de seize ans et demi au cours de la saison 1966/67. «Et depuis, je suis devenu rapidement titulaire à part entière. Mieux encore, mon baptême du feu fut lors du derby contre le CA, nous précise Abdelmajid Ben M'rad». Ce fut une preuve éloquente du talent incontesté de ce feu follet de l'attaque «sang et or» qui a eu le mérite d'avoir énormément contribué à faire de l'EST la bête noire du CA pendant de longues années alors que le club de Bab Jedid ne laissait souvent que des miettes à celui de Bab Souika pendant longtemps. «En effet, damer le pion au grand Club Africain de l'époque qui comptait dans ses rangs des ogres comme Attouga, feu Tahar Chaïbi et feu Mohamed Salah Jedidi, n'était pas une chose facile. Une nouvelle ère de suprématie allait commencer pour l'EST notamment grâce à mon apport et à celui de Temime Lahzami qui a débarqué du CSHL à l'EST juste quelques années après mon éclosion». Ben M'rad et Témime n'étaient pas rivaux A ce propos, certains pensent que Ben M'rad et Témime se disputaient et la vedette et le poste d'ailier droit à l'EST. Mais Ben M'rad dénie cela : «Je tiens à préciser que j'étais parrainé par Si Abderrahmen Ben Ezzeddine, l'entraîneur de l'EST à l'époque qui m'a beaucoup aidé sur tous les plans à mes débuts. Et c'est lui qui était à l'origine du recrutement de Témime. Il m'avait transposé à l'aile gauche de l'attaque étant donné que je jouais des deux pieds tout en le plaçant sur l'aile droite, son poste de prédilection car il ne jouait que du pied droit. D'ailleurs, on se complétait parfaitement bien sur le terrain. Et en dehors des stades, notre relation était formidable». A soixante-huit ans bien sonnés, «Majda» comme se plaisent à l'appeler tous les Espérantistes, n'a toujours pas de bedaine qui dépasse. Il est toujours aussi élégant qu'avant. Lui qui était le playboy par excellence dans sa jeunesse. Sa vélocité, ses dribbles à la fois fantaisistes et déroutants et ses passes lumineuses, ayant fait de tous les attaquants qui l'ont accompagné et plus particulièrement Abd Ejabbar Machouche des canonniers redoutés, l'ont hissé au rang de l'un des meilleurs attaquants de toute l'histoire de notre football. D'un coup de hanche, d'un grand ou petit pont, d'une louche, d'un sombrero ou de tout autre geste technique magique, Ben M'rad pouvait effacer et ridiculiser un ou plusieurs défenseurs. Bref, avec Hamadi Agrebi du côté du CSS, on ne pouvait que se régaler d'un spectacle toujours garanti rien qu'en voyant ces deux joueurs sublimes à l'œuvre. «Le football était pour nous une sorte de drogue. Nous kifions et faisions kifer les spectateurs. Nous le faisions par amour pour le ballon rond comme le faisaient avant nous nos illustres précédesseurs Farzit, Diwa, Abdelwaheb Lahmar, Ammar Merrichkou et j'en oublie. L'argent n'a jamais été une priorité pour nous. Nous avons donné du plaisir aux spectateurs et en retour ils nous ont donné un amour et un respect sans bornes qui continuent à ce jour. Qu'est-ce qu'on peut vouloir de plus. Pour ce qui est de l'argent j'en ai fait suffisamment lors de mon passage pour deux saisons à «Al Ansar» en Arabie Saoudite de 1979 à 1981. Je n'ai aucun regret à ce sujet. Et si c'était à refaire, je referais le même rêve et la même idylle avec l'Espérance dont le nom est gravé dans mon cœur.» «Majda Riva Ya Maâllem...» Ben M'rad, tout comme Machouche, Chaïbi, Attouga et Jédidi, était «Monsieur derby». C'est d'ailleurs avec son ascension que l'Espérance avait brisé le signe indien face au CA qui gagnait presque toujours le grand derby de la capitale. Avec Machouche, ils semaient la teneur dans la défense clubiste. «Je me rappelle que le coach André Nagiy affichait sur le tableau des vestiaires du CA» lors de nos rencontres : «Aujourd'hui le CA joue contre Ben Mrad», tellement il savait que tout le danger venait de mon côté. C'était une sorte d'honneur pour moi». De leur côté, les supporters «sang et or» qui adulaient Ben M'rad scandaient à chaque match «Majda Riva, ya Mallem Khalli echabka tetkallem». Interrogé sur sa comparaison par le public espérantiste avec Gigi Riva, le buteur et idole de toute l'Italie à l'époque, Majid nous fait savoir que logiquement la comparaison ne tient pas car on n'avait pas le même style de jeu, mais puisque son nom était court et chantonnant et qu'il était l'un des grands noms du football italien, on l'a choisi pour ce fameux refrain». Côté relation avec les entraîneurs et les présidents, Ben M'rad qui aime contenter tout le monde déclare que «tous les entraîneurs et les responsables de l'Espérance ont servi notre club avec amour et dévouement. Ils ont tous honoré leurs engagements envers le doyen des clubs tunisiens. Cheldy Zouiten, Hassène Belkhodja, Nacer Knani et tous les autres présidents ont tous servi les couleurs «sang et or» avec un cœur gros comme ça. Cet esprit continue toujours au sein de l'Espérance. En témoigne la loyauté et la générosité sans limites de Hamdi Meddeb actuellement. C'est cela la magnifique famille espérantiste. Pour ce qui est des entraîneurs ayant eu une influence positive et directe sur ma carrière, je cite spécialement Abderrahmane Ben Ezzedine, Pazmandi et Ameur Hizem qui étaient vraiment de grands monsieurs professionnellement et humainement». Voyager dans le temps avec des footballeurs du bon vieux temps est sincèrement un vrai délice.