Plus de la moitié des partis légaux n'ont pas un réel ancrage dans la société tunisienne et certains d'entre eux n'existent en réalité que dans les statistiques de l'administration. Le ministère chargé des Relations avec les instances constitutionnelles, la société civile et des droits de l'Homme réfléchit à la possibilité de mettre plus de barrières devant l'opération de création d'un parti et à sensibiliser les partis à la présentation de leur rapport financier annuel, avant de passer aux sanctions « Après la révolution, il y a eu un vrai tsunami de partis », cette phrase anodine prononcée au milieu de l'intervention d'Asma Ben Abdallah, professeur universitaire, provoque immédiatement la colère et l'indignation des petites formations politiques, conviées hier (au même titre que les partis bien ancrés et représentés au parlement), à une consultation nationale autour de la préparation d'un nouveau cadre juridique organisant les partis politiques. Ces petits partis, ou « atomes » comme les qualifiera par la suite le professeur Hafedh Ben Salah, se sont sentis stigmatisés par la simple description d'un fait. Le fait est, selon les données du ministère des Relations avec les instances constitutionnelles, de la société civile et des droits de l'Homme, que sur les 208 partis légaux seul un tiers a pu donner suite à la sollicitation dudit ministère relative à l'envoi des données actualisées sur leurs partis. Et bien évidemment, seule une poignée respecte le décret-loi n°87-2011 relatif à l'organisation des partis politiques, qui exige de ces derniers la présentation d'un rapport financier annuel. Le fait est, également, que plus de la moitié des partis légaux n'arrivent pas à avoir un réel ancrage dans la société tunisienne et certains partis n'existent en réalité que dans les statistiques de l'administration tunisienne. Exit Hizb Ettahrir « Le conseil national de certains partis pourrait même se tenir dans le bureau du secrétaire général », ironise Hafedh Ben Salah. Un constat qui amène le ministre Mehdi Ben Gharbia à évoquer la possibilité de mettre un peu plus de barrières devant ceux qui souhaitent s'organiser en partis sans avoir les attributs raisonnables. Il lance ainsi plusieurs propositions déjà appliquées sous d'autres cieux, parmi lesquelles la nécessité d'obtenir un nombre précis de signatures citoyennes, le retrait du visa aux partis qui ne participent pas à plusieurs élections successives ou encore, la justification d'un seuil minimum de financement permettant à un parti de fonctionner. « Le nombre des partis n'est pas un problème en soi, affirme Mehdi Ben Gharbia. Le problème réside en leur degré de participation à la vie publique et leur rôle dans l'encadrement des citoyens ». Le ministre a qualifié le Décret-loi n°87-2011 de « révolutionnaire » à l'époque où il a été promulgué, mais note aussi qu'aujourd'hui, après l'adoption de la nouvelle Constitution qui consacre l'Etat civil et la liberté de conscience, il n'est plus possible de délivrer un visa à un parti qui ne croit ni en la Constitution, ni en la démocratie, ni même en l'Etat tunisien. Il a indiqué, à ce titre, que le parti Hizb Ettahrir n'a pas été convié à la consultation, du fait que ses activités sont actuellement suspendues par décision de justice. De son côté, le président de la commission juridique du parti Nida Tounès, Mourad Dallech, a déclaré que son parti n'est pas inquiet quant au nombre élevé des partis légaux. Pour lui, seules les urnes ont pour vocation d'exclure une formation politique. « Même les petits partis peuvent avoir un rôle à jouer notamment dans le brassage des idées », a-t-il dit. Par ailleurs, le professeur Hafedh Ben Salah, a défendu l'option selon laquelle la participation aux échéances électorales devrait être l'apanage des partis politiques. Selon lui, les listes indépendantes risquent de parasiter la vie politique. Question de financement Le projet de loi qui réorganisera les partis politiques sera aussi, selon le ministère initiateur, l'occasion de revoir le financement de la vie politique en Tunisie, caractérisée par le flou et une certaine forme d'hypocrisie. L'Etat tunisien ne finance les partis qu'en période électorale et s'inquiète, par la suite, du manque de transparence des sources de financement. Une inquiétude qui n'est pas suivie d'action, puisqu'il est difficile d'éplucher les comptes des partis politiques et surtout de démêler le licite de l'illicite. « Le décret parle de financement public des partis politiques sans pour autant expliquer comment, affirme Mehdi Ben Gharbia. Aujourd'hui il faut réfléchir sur cette question. Est-ce que cela se fera sur la base de la représentation au parlement, sur la base du nombre de voix obtenues lors des élections, sur la base du nombre de représentants dans les conseils élus ou bien pour tous les partis ? ». Présents lors de la rencontre, les représentants de Nida Tounès et d'Ennahdha sont les premiers à exiger un financement public. Pour eux, il n'est plus concevable qu'un parti, disposant d'une large représentation à l'intérieur du parlement et bien ancré dans les régions de Tunisie, soit privé de financement public. « Il n'est pas normal qu'un parti comme le nôtre qui obtient la majorité aux élections soit privé du financement étatique, lance Mourad Dallech. La démocratie a un coût et tout comme l'Etat investit dans l'infrastructure, il doit investir dans la démocratie ». Même demande du côté d'Ennahdha. Farida Laâbidi demande à ce que le financement public devienne la part la plus importante du financement des partis. « Les expériences comparées montrent que le financement des partis se fait proportionnellement au nombre de sièges obtenus au parlement », note-t-elle, sans exclure la possibilité de retenir d'autres critères pour recevoir de l'argent du contribuable. Toutefois, le bémol que pose le ministre Mehdi Ben Gharbia est que la transparence des partis laisse encore à désirer. « Nous allons commencer par sensibiliser les partis à l'obligation de présenter un rapport financier annuel, avant de passer aux sanctions », prévient Ben Gharbia. Souvent accusés de financements occultes, les représentants de Nida Tounès et celui du parti Ennahdha rappellent que leurs partis ont envoyé, conformément à la loi, leurs rapports financiers à la Cour des Comptes. « Chafik Jarraya a peut-être, je dis bien peut-être, financé certaines personnes physiques dans certaines circonscriptions, mais il n'a mis aucun dinar dans les caisses du parti, a-t-il tenu à assurer. A Nida Tounès, notre financement provient de nos militants ». Farida Laâbidi répond elle aussi aux accusations de Abir Moussi (présidente du Parti destourien libre), qui avait accusé Ennahdha de recevoir un financement illicite. Elle rappelle notamment que le parti est vieux d'une quarantaine d'années et que les contributions financières des militants sont légion. « Ceux qui connaissent Ennahdha savent que ses militants n'hésitent pas à injecter de l'argent, chacun selon ses moyens, pour que le parti continue à travailler, déclare-t-elle. Ce modèle de financement, nous l'avons adopté depuis déjà des décennies ».