Par Jawhar CHATTY Voila bientôt huit ans que le pays vit pour ainsi dire dans un état de révolution permanente. De bouillonnements, de surenchères et de déchirures allant parfois jusqu'à menacer l'unité de la nation dans ce qu'elle a de plus cher, son territoire, sa religion et son identité. On avait pourtant cru être tirés d'affaire en réussissant notre transition politique. Mais à mi-chemin du processus «révolutionnaire», les horizons se sont de nouveau assombris parce que beaucoup avaient cru que la démocratie est une fin en soi et qu'aujourd'hui encore, ils refusent de voir que pour être et pour durer, une démocratie a, au-delà des palabres et de tous les pluralismes, besoin d'un terreau fertile que seuls le développement social et la croissance économique peuvent irriguer et nourrir. «Nous sommes toujours au milieu du gué», le président Caïd Essebsi sait ce qu'il dit tout comme quand il qualifie le nouveau gouvernement Youssef Chahed de celui de «la dernière chance». Huit gouvernements se sont succédé en sept ans, et à chaque fois un nouveau «programme» et immanquablement beaucoup de flottement. Les ébauches de projections sur le long terme, si tant est qu'elles aient existé, ont été sacrifiées sur l'autel des compromissions et, dans le meilleur cas, des consensus mous...Or, c'est d'une vision que le pays a le plus besoin. Une vision qui dégage les horizons et qui redonne de l'espoir aux Tunisiens. Le courtermisme, on l'a vu, est cette confortable illusion d'avoir réussi à parer au plus urgent alors même que le plus urgent et le plus lucide seraient d'apporter des solutions durables aux problèmes qui se posent aujourd'hui et d'anticiper ceux de demain. Le courtermisme a de plus un côté fort pernicieux puisqu'il a l'effet d'un tranquillisant, un analgésique qui exaspère les frustrations et ouvre la voie aux revendications les plus insensées. Certains avaient ricané quand Youssef Chahed a présenté son programme économique et social à l'horizon 2020. Se projeter jusqu'à cette date leur paraissait assez osé ! Pourtant, ce sont ces mêmes voix qui, à raison, ne manquent pas de décrier l'absence de vision et en appellent à accélérer les réformes et réussir notre transition économique. Les défis sont énormes, l'année 2018 s'annonce particulièrement difficile et le débat sur le projet de loi de finances 2018 houleux. Tout le monde ou presque en convient. Les réformes vont forcément être douloureuses. Mais pour que l'opinion publique adhère au mouvement de réformes et le soutienne, il faudrait qu'on lui tienne un langage de vérité et qu'on développe auprès d'elle une franche pédagogie des réformes. Dit autrement, il s'agit de l'éclairer sur les incidences du statu quo et des non-réformes, sur le coût social des réformes et sur les dividendes que l'économie et la société tunisiennes dans son ensemble pourront demain tirer de ces mêmes réformes.