Aujourdhui, disons-le sans ambages, le gouvernement Youssef Chahed profite du soutien inconditionnel de la présidence de la République, fait inédit lors des derniers huit gouvernements depuis la révolution de 2011, et du soutien complaisant de l'Ugtt, la puissante centrale syndicale. Mais, dans un cas comme dans l'autre, rien n'est définitivement acquis. Il appartient au gouvernement de faire une adresse à la nation où il expose clairement la nature et l'étendue des réformes douloureuses qu'il envisage. L'épreuve de vérité s'impose. Parce que, on ne le dira jamais assez, toute occultation ou incompréhension en la matière risque d'être fatale au gouvernement C'est une semaine à proprement parler folle. On y a assisté à l'approbation parlementaire du nouveau gouvernement, les passes d'armes sur la loi de réconciliation nationale, finalement adoptée à une courte majorité de voix, et l'annulation de la circulaire de 1973 interdisant aux Tunisiennes d'épouser des non-musulmans. Pour les observateurs avertis, ce qui caractérise la scène politique, c'est la poussée subite de l'incivilité publique. Si le gouvernement a été approuvé à une majorité confortable des voix, les échanges et simulacres de débats en amont furent scandaleux. Et ce fut bien pire lors du vote de la loi de réconciliation nationale. Insultes, invectives, noms d'oiseaux et volées de bois vert furent au rendez-vous. A telle enseigne qu'il arrive au commun des Tunisiens de balayer tout ce beau monde d'un revers de main en se disant en son for intérieur «tous pareils, tous pourris». L'image du responsable politique, quel qu'en soit le statut, qu'il soit pro-gouvernemental ou opposant, en accuse un sacré coup. Ça tire vers le fond, nivelle par le bas et se vautre dans les marécages fangeux du degré zéro de la politique. Côté majorité, ça se fait et se défait au gré des alliances et ralliements du jour. Et ça porte les stigmates des fractures et clivages partisans intra-muros. Parce que tous les partis ou presque, ceux de la majorité en prime, sont touchés par le vieux démon des Numides, celui des scissions et des divisions. Certes, on a observé, à l'issue des différents votes parlementaires, le bloc indéfectible de la majorité arithmétique Nida Tounes-Ennahdha. Mais même celle-ci trahit les divisions internes des uns et des autres. Dans ce panorama nullement enchanteur, le gouvernement affiche jusqu'ici en tout état de cause une certaine unicité. Et pour cause. Retapé dans la majorité de ses portefeuilles, il lui importe d'administrer la preuve de son efficience. En présence de défis économiques majeurs, d'injonctions écrasantes du Fonds monétaire international (FMI) et de perspectives à bien des égards douloureuses de la nouvelle loi de Finances 2018. Et c'est là que la bât blesse, assurément. La démocratie est forcément polémique et conflictuelle. La diversité, l'adversité même, en sont l'huile et le rouage. Mais l'économie a aussi ses diktats, particulièrement en temps de crise. À ce niveau, les clignotants sont plutôt au rouge. Tout le monde en convient. Et la marge de manœuvre du gouvernement se rétrécit comme peau de chagrin. La production périclite, la sous-utilisation des ressources, gangrenées par la corruption, le laisser-aller, le corporatisme et l'isolationnisme régionaliste, est flagrante. Le PIB stagne, au même titre que les investissements et les exportations. Les balances commerciale et financière accusent des déficits faramineux. Ça dégénère sur les prix, en perpétuelle augmentation, ainsi que sur le pouvoir d'achat des contribuables, saigné à blanc. Il en résulte une précarité effective et une exaspération ostentatoire. Et cela influe négativement et ostensiblement sur l'indice de confiance des citoyens dans le gouvernement et l'autorité en général, un élément incontournable dans le processus de légitimation. Et dire que rien n'est encore fait. Le débat autour de la nouvelle loi de Finances promet déjà d'être des plus âpres. Et c'est on ne peut plus évident eu égard aux tournures que cela pourrait prendre. En effet, le FMI est aux aguets. Et il ne compte pas lâcher prise. Son soutien à l'économie tunisienne est corollaire de la mise en œuvre d'une batterie de mesures plus douloureuses les unes que les autres. Il l'exige. Il en va de la diminution drastique de la masse salariale, qui doit être ramenée de près de 15% du PIB à 12,5%, à la levée progressive des subventions des produits de première nécessité principalement de consommation courante et énergétiques. Sans oublier la privatisation de certaines entreprises publiques, la flottaison du Dinar et la réorganisation des caisses sociales. Autant de mesures, citées à titre indicatif, qui s'inscrivent de plain-pied dans le vécu immédiat des citoyens, qui imprègnent profondément leur quotidien. À ce stade, il appartient au gouvernement de faire une adresse à la nation où il expose clairement la nature et l'étendue des réformes douloureuses qu'il envisage. L'épreuve de vérité s'impose. Parce que, on ne le dira jamais assez, toute occultation ou incompréhension en la matière risque d'être fatale au gouvernement. Et un gouvernement averti en vaut deux. Aujourdhui, disons-le sans ambages, le gouvernement de Youssef Chahed profite du soutien inconditionnel de la présidence de la République, fait inédit lors des derniers huit gouvernements depuis la révolution de 2011, et du soutien complaisant de l'Ugtt, la puissante centrale syndicale. Mais, dans un cas comme dans l'autre, rien n'est définitivement acquis. Dans son livre intitulé "Scandale de la vérité", Georges Bernanos avait écrit : «Le scandale n'est pas de dire la vérité, c'est de ne pas la dire tout entière, d'y introduire un mensonge par omission qui la laisse intacte au dehors, mais lui ronge, ainsi qu'un cancer, le cœur et les entrailles.» À méditer.