Par Bady BEN NACEUR L'automne vient d'arriver sans crier gare ! C'est une sorte d'automate qui se meut de lui-même, scénographe averti, accompagné d'éole, pour changer le décor. Il bouscule le ciel bleu et ses gros nuages, blancs et gris, jouent à cache-cache avec les rayons du soleil, encore ardents. Il arrive à temps pour offrir une bruine rafraîchissante aux jeunes pousses assoiffées et bien heureuses de faire trempette à leur tour ! Déclin du jour et déclin, pour les humains que nous sommes, des humeurs festives et chaleureuses ! J'entends encore le chant plaintif du poète Charles Baudelaire, «Adieu vive clarté de nos étés trop courts !», avant les ténèbres de l'hiver ! Sans crier gare aussi, le chant de la cigale qui s'est tu, sans doute effrayée par les voix stridentes et cacophoniques de certains muezzins qui braillent, sans conviction, du haut de leurs minarets. Cette année, plus particulièrement, il y a quelque chose qui ne va pas dans cette «morte-saison», quelque chose qui incite à l'anxiété et aux troubles neurasthéniques, avec ces décibels dépassant tout entendement. Dans la tradition, l'automne était le mois de la rentrée et de la remise en ordre de tout, d'une manière ordonnée et solennelle, en attendant l'hiver. Dans la tradition musicale des saisons aussi. Les regrets, la nostalgie, les sentiments d'apaisement... Les «quat'saisons» de Vivaldi offrent aux publics les plus divers des concerts dans les salles de spectacles, les opéras et les théâtres, les parcs et les jardins, pour glorifier la nature et l'en remercier. L'Octobre musical de Carthage en est un exemple. Mais nous avons aussi nos traditions musicales séculaires, dans toutes les régions du pays. Il faut les réveiller, les revisiter, les remettre au goût du jour. C'est cela qui fait le charme de l'automne, sans compter les autres manifestations culturelles et artistiques de tout ordre pour conforter et mettre du baume dans les esprits des travailleurs. Les quatre saisons «arbi» (lunaires) existent bel et bien en Tunisie, mais il faut aller les chercher dans nos régions. Mon ami Lassaâd Lioui les a égrenées avec force détails : les us et coutumes et scènes de la vie traditionnelle pour chaque saison. Mais sachez, chers lecteurs, au moins leurs symboles : «Essif» (l'été) saison des invités ; «Errabii» (le printemps) saison des rêves et des vœux, «Echtaa» (l'hiver) echadda, saison de l'entraide et des offrandes, enfin, comme on le disait pour l'automne «Elkhrif», c'est la saison de la rentrée et de la remise en ordre, à l'approche de l'hiver. Ces saisons «arbi» arrivent un peu plus tôt que celles d'Europe, notamment. Et il me souvient des œuvres peintes de Ammar Farhat «Les quatre saisons», un quadriptyque de grand format que ces saisons n'étaient pas identiques — tout à fait — à celles d'Occident, peintes ou musiquées. En effet, pour «l'automne», l'artiste avait peint deux toiles. Dans la première, c'est la saison des labours; dans la seconde, une paysanne, tient une branche de grenades rouges ; «le printemps» est symbolisé par un vase de fruits toujours tenu par une paysanne dans ses habits traditionnels. Quant à «l'hiver» hachuré d'un blanc comme neige sur la toile, une femme avec comme offrandes deux poulets... Comme on le voit, les saisons ne sont pas tout à fait identiques qu'en Occident ! Comme si l'automne jouait les prolongations, empiétant même sur le terrain de la saison hivernale. C'est ça aussi le charme discret de la Tunisie et de sa douce nature !