Depuis la nuit des temps, les quatre saisons de l'année ont inspiré écrivains et artistes de tous les horizons. Il y a d'ailleurs, dans le rapport de ces derniers à la météo, assez de matière pour bien des thèses et bien des essais. Contrairement à ce que l'on peut croire, à cause de certains lieux communs scolaires, ce n'est pas le printemps qu'on a le plus célébré dans les œuvres de ces créateurs. L'hiver avec ses rigueurs et son charme discret a donné lieu à d'inoubliables extraits romanesques, à de merveilleux morceaux poétiques et à d'immortelles toiles de maîtres. La nature en furie, les forêts enneigées, le doux crépitement de la pluie sur les carreaux des fenêtres, le manteau de brouillard qui enveloppe les matinées citadines et campagnardes, les nappes de boue sur les chemins de traverse, les bruyères givrées, le vent glacial qui secoue les arbres et manque d'emporter les êtres et les choses, tous ces phénomènes naturels et toutes ces intempéries deviennent sous la plume d'un romancier, dans le sonnet d'un poète et sur le tableau d'un peintre, de magnifiques spectacles qui ne racontent pas que le déchaînement des éléments. En fait, ils nous transportent aussi dans les méandres intérieurs des âmes tourmentées qui les perçoivent et les subissent. Dans Thérèse Desqueyroux de François Mauriac, les vents qui balaient les Landes girondines sont l'écho de l'exil intérieur de l'héroïne. L'ennui profond d'Emma Bovary (Flaubert) est doublement pesant pendant les journées pluvieuses passées dans la solitude ou aux côtés de son mari qu'elle trouve plus froid qu'un bloc de glace. Au XVIème siècle, Joachim du Bellay trouvait à l'hiver quelque chose de terrifiant et de bestial et écrivait : Entre les loups cruels, j'erre parmi la plaine. Je sens venir l'hiver, de qui la froide haleine D'une tremblante horreur fait hérisser ma peau. Quelques siècles plus tard, Baudelaire sentira les rigueurs de l'hiver au plus profond de son être : Tout l'hiver va rentrer dans mon être : colère, Haine, frissons, horreur, labeur dur et forcé, Et comme le soleil dans son enfer polaire, Mon cœur ne sera plus qu'un bloc rouge et glacé. Agrippa d'Aubigné, quant à lui, aimait l'hiver pour son pouvoir cathartique : J'aime l'hiver qui vient purger mon cœur de vice, Comme de peste l'air, la terre de serpents. Mallarmé chantera autrement la saison morte en écrivant : Le printemps maladif a chassé tristement L'hiver, saison de l'art serein, l'hiver lucide. L'hiver pour Jules Laforgue lui rappelle les personnes indigentes : L'hiver gèle les fricots des pauvres aux assiettes sans fleurs peintes. Vendredi et Samedi derniers, nous avons éprouvé simultanément tous ces sentiments contradictoires en contemplant la capitale sous la pluie battante et les puissantes rafales de vent. Entre 18 et 20 heures, l'avenue Bourguiba grouillait pourtant de monde et l'ambiance n'avait rien de sinistre. Tout le centre-ville s'était enrichi d'un pittoresque nouveau et il y régnait même une discrète gaieté. Les mouvements précipités des piétons étaient comme rythmés par les cris continus et pressants des vendeurs de parapluies embusqués à chaque coin de rue. Les feux des voitures donnaient aux corps des passants un profil fuyant et presque surnaturel. En même temps, la foule dégageait dans sa diversité un air de famille : dans les rues, les stations de bus ou de métro, les magasins et les cafés, plus personne n'était étranger à son voisin ; le mauvais temps avait suscité entre tous, les commentaires et les réactions les plus partagés. On s'amusait aussi du spectacle d'un parapluie qui s'envolait des mains de son porteur, à la vue d'un jeune lycéen tout trempé, mais l'on s'attendrissait devant une sexagénaire surprise par l'orage et qui ne retrouvait plus son chemin à cause des innombrables flaques d'eau. Ces rues débordantes de vie, cette chaleur humaine retrouvée le temps d'une bourrasque et d'un orage, ces scènes tour à tour burlesques et touchantes recèlent une indéniable poésie et une singulière beauté. Ils confèrent aux décors composites de la ville une unité insoupçonnée dont les habitants peuvent s'enorgueillir. Ce regard différent sur Tunis par temps de chien a au moins le mérite de nous faire oublier pour quelques instants (de rêverie) la fragilité de ses infrastructures face au courroux de la nature. Moment de répit donc pour les édiles !